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Quand le tyran
affronte la colère, longtemps contenue, de son peuple, il commence toujours par
recourir à la violence. Sûr de son bon droit et de son impunité, il ordonne à
ses sbires de tuer, de saccager et de torturer pour empêcher toute récidive. Et
si, d'aventure, l'armée et les forces de sécurité rechignent à obéir à ses
consignes abjectes, il puise dans le trésor national et paie des mercenaires
pour accomplir la sale besogne. C'est presque toujours le même scénario qui
prélude au même enchaînement d'événements. Car, tôt ou tard, le tyran réalise
que son peuple est déterminé et que des concessions, même de façade, sont
nécessaires. Vient alors le temps du discours à la fois menaçant et
accommodant. C'est le « père de la nation » qui s'adresse aux brebis égarées,
qui en appelle à la majorité silencieuse, qui promet des changements et des
réformes dont on se demande pourquoi ils n'ont jamais été réalisés auparavant.
C'est la dignité offensée qui ne comprend pas la flambée de violence et qui
feint de s'étonner que les manifestants en soient arrivés à sortir dans la rue
pour faire entendre leur voix. C'est le propos d'une pseudo sagesse qui dit
après moi le déluge et qui abat la carte de la peur en menaçant son peuple de
guerre civile et de peine capitale. Et pour bien enfoncer le clou, il finit par
brandir la carte du retour du colonisateur sans oublier la menace islamiste
alors que personne n'a vu ou entendu le moindre slogan religieux contre son
régime inique.
Quand il est acculé, quand il est en perte de vitesse, le tyran devient comédien. Il cherche à émouvoir, à séduire et compte sur l'angoisse de son peuple face à l'inconnu. Il joue la ritournelle du souvenez-vous de ce que je vous ai apporté, de nos combats glorieux. Tel un mythomane gavé de drogues et d'euphorisants, il se pavane et jure qu'il ne quittera jamais son poste. Et, bien entendu, dès la fin de son propos, les foules « enthousiastes » sortent pour acclamer le leader, un peu à l'image des pauvres imbéciles qui ont envahi les rues de Tunis pour chanter les louanges de Ben Ali au soir de son discours du 13 janvier. « Je vous ai compris. Faites moi encore confiance » affirme le tyran qui ne se rend même pas compte que le feu a gagné son palais. Mais tout cela est vain car, qu'il le veuille ou non, son destin est scellé. Tôt ou tard, après quelques autres discours, il devra fuir pour ne pas être passé par la lame d'un sabre ou haché par quelques rafales d'armes automatiques. C'est à tout cela que je pensais mardi dernier après avoir écouté le discours fleuve de Kadhafi. Un moment pathétique, d'un grotesque infini comme lorsque le « guide » est apparu la veille à la télévision, parapluie à la main, pour prouver qu'il n'avait pas quitté le pays contrairement aux rumeurs qui le disaient réfugié au Venezuela. Ce discours? Quelle logorrhée, quel délire mais en même temps quelle cruauté, quelle monstruosité dans le verbe et l'intention. C'était l'exemple même du dictateur qui n'hésite pas à mettre son pays à feu et à sang pour sauver son fauteuil. Dans ce discours, il y avait à la fois du Bokassa, de l'Idi Amin Dada et du Sénateur Palpatine. On aurait pu en rire à gorge déployée si la situation n'était pas aussi tragique et s'il n'y avait pas eu autant de morts. Question : dans cette triste affaire, que va faire le monde arabe ? Encore dirigé par un nombre important de fripouilles et de kleptocrates, il va encore s'arranger pour décider de ne rien décider. Dans le camp des démocraties naissantes, la Tunisie doit gérer sa transition et contrer les agissements des milices de l'ancien régime tandis que l'Egypte est loin d'être sortie d'affaire. Quant aux autres régimes, comment pourraient-ils abandonner l'un des leurs ? Comment pourraient-ils accepter de créer un tel précédent ? A-t-on vu un régime arabe se porter au secours d'un peuple arabe en danger de mort ? On retiendra aussi que l'Union du Maghreb arabe (UMA) est définitivement morte en ce mois de février 2011, soit vingt-deux ans après sa naissance. Que l'on se dise arabe, berbère ou tout simplement maghrébin, Kadhafi et son gang familial de psychopathes sont notre honte. Deuxième question : dans cette affaire, que va faire l'Occident ? Cet Occident qui s'est longtemps tu pendant les événements tunisiens et égyptiens va devoir choisir entre pétrole et morale. Entre gaz naturel et honneur. Entre ventes d'armes et rectitude. On se doute bien quel sera son choix. Pour sauver les apparences, il décidera peut-être un embargo et quelques sanctions pour calmer la galerie. Mais peut-il se fâcher contre celui qui détient trois pour cent des réserves mondiales d'or noir ? Rembobinons quelques documents d'archives. Ecoutons ce ministre français nous expliquer que Kadhafi est un partenaire sérieux de l'Union européenne. Ecoutons Berlusconi dire toute l'admiration qu'il éprouve pour son ami Libyen. Ecoutons l'administration Bush saluer celui qui a renoncé au terrorisme. Revoyons les images du despote reçu en grandes pompes à Paris en décembre 2007. Ah, cette tente plantée en plein parc de l'hôtel Marigny, à quelques mètres de l'Elysée, quelle belle gifle à la patrie qui fut celle des droits de l'homme. Pauvre Libye. Pauvres Libyens dont on se demande ce qu'ils ont bien pu faire pour mériter un tel sort. Désormais, personne ne sait ce qui va se passer mais une chose est certaine : Kadhafi a fait massacrer son peuple et il mérite d'être traduit devant la justice internationale. Affirmer le contraire ne sera que propos dilatoire, complaisant ou tout simplement complice. |
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