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L'ULTIME OPTION

par K. Selim

Le discours menaçant, du style «moi ou le chaos », du fils du Guide de la révolution libyenne n'a pas calmé les esprits, bien au contraire. Les manifestations ont gagné Tripoli, où tous les commissariats de police de la capitale ont été incendiés, le siège du parti au pouvoir a été occupé et dévasté. Celui de la deuxième chaîne de télévision est en feu.

Benghazi, la seconde ville du pays, est sous le contrôle des manifestants, tout comme Al-Bayda et d'autres cités sur l'ensemble du territoire. La menace de guerre civile brandie par Saïf El-Islam Kadhafi est à prendre très au sérieux dans un contexte de violences généralisées, où les appareils de sécurité sont divisés de la base au sommet.

Il est difficile d'établir des scénarios mais la brutalité dont le régime a fait preuve a installé un point de non-retour. Le statu quo qui prévalait avant les massacres perpétrés par des forces de sécurité, appuyées par des mercenaires, est révolu. Le consensus politique minimal antérieur, fondé sur le silence et la passivité d'une population encadrée par les sinistres Comités révolutionnaires, n'existe plus. Il n'a aucune chance d'être renouvelé.

La Libye entre dans une phase de déstabilisation exacerbée, susceptible de dériver vers des paroxysmes de violence. Car, si la révolte populaire est généralisée, le régime dispose de fortes capacités de nuisance qui ne permettent pas de pronostiquer sa fin rapide. Kadhafi est acculé mais il dispose encore d'une base clientéliste bien réelle. Le contrôle régalien de la rente pétrolière a nourri durant quarante et une années de règne du Guide une base sociale qui s'est effilochée au fil du repli du régime sur le clan familial au pouvoir. Cette garde rapprochée, le dos au mur et sans grandes possibilités de sortie politique ou d'exil « sûr », semble bien décidée à jouer la stratégie du pire.

A la différence des systèmes tunisien et égyptien fondés sur des appareils d'Etat opératoires, la forme de pouvoir développée par Mouammar Kadhafi, très informelle et très personnalisée, limite sévèrement les possibilités de réajustements à l'intérieur du système. La montée des tensions et la radicalisation des positions risquent donc de déboucher sur une escalade de la violence et de transformer la révolte populaire en révolution pure et simple.

C'est apparemment ce qui est en train de se passer avec l'élargissement du mouvement populaire à la base économique du pays, la production et les exportations de pétrole. Les grèves qui affectent les centres d'exportation à l'est du pays, à proximité de la ville insurgée de Benghazi, et de production au sud, dans des régions dont les populations se sont rangées aux côtés des manifestants, vont sans doute accélérer le processus en cours.

Le conflit de volonté entre un groupe bunkerisé et une population exaspérée est lourd de danger. Les capacités de nuisance et la détermination désespérée du clan Kadhafi face au rejet dont il est l'objet alimentent toutes les inquiétudes.

 Mais la gestion absurde du pays durant ces quarante ans de révolution verbale ne pouvait plus durer. Il y a dans cette intifadha des Libyens, qui se transforme en révolution, un vrai sursaut de dignité.

La seule chose utile que peut faire Kadhafi à son pays est de le laisser continuer son chemin, sans lui, et de lui épargner des drames supplémentaires. Malheureusement, la sagesse n'a jamais été la qualité au pouvoir à Tripoli.