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Des manifestations réprimées dans le sang: Plus de 170 morts en Libye

par Yazid Alila

La Libye serait entrée dans un cycle durable de manifestations pour le changement de régime depuis maintenant une semaine. Face à un verrouillage quasi total de l'information, les pires scénarios sont échafaudés par les médias étrangers. Notamment sur le nombre de morts enregistrés dans les villes de l'Est du pays, notamment à Benghazi. Selon plusieurs agences de presse, relayant des bilans d'ONG, les forces de sécurité libyennes tirent à balles réelles contre les manifestants, parfois même avec des roquettes. Difficile, dans le contexte actuel, d'obtenir des vérifications, d'autant que les journalistes sont absents des lieux de ces heurts entre protestataires et forces de l'ordre. De nouvelles manifestations se déroulaient hier à Benghazi, dans l'est de la Libye, où les protestataires ont encore essuyé des tirs, a déclaré un avocat, Mohammed al-Mughrabi, joint par téléphone. Des milliers de personnes manifestent devant un tribunal de Benghazi. Et d'autres «attaquent la garnison, ils affrontent des tirs», a assuré cet avocat. Selon lui, «au moins 200 personnes» sont mortes à Benghazi. Au moins 173 personnes ont été tuées en Libye depuis le début de la contestation mardi, a affirmé de son côté l'organisation de défense des droits de l'Homme Human Rights Watch (HRW), après de nouveaux heurts meurtriers samedi entre forces de sécurité et manifestants. «Notre chercheur en Libye nous a confirmé qu'il y avait au moins 173 morts», a déclaré le directeur du bureau de HRW à Londres, Tom Porteous, joint par téléphone, citant des sources médicales et des témoins.

«Mais c'est une photographie incomplète de la situation car les communications avec la Libye sont très difficiles. Nous avons de fortes inquiétudes (...) qu'une catastrophe soit en cours en matière de droits de l'Homme», a-t-il ajouté. «Le gouvernement a coupé toutes les communications Internet dans le pays et interfère dans les liaisons téléphoniques, à la fois mobiles et fixes, ce qui rend très difficile la collecte d'informations», a expliqué M. Porteous.

Catastrophe humanitaire ?

Selon un décompte de l'agence de presse AFP établi à partir de différentes sources libyennes, le bilan de la contestation contre le régime du colonel Kadhafi, au pouvoir depuis plus de 40 ans, s'élevait à au moins 77 morts, la plupart à Benghazi, deuxième ville du pays et bastion de l'opposition. Un membre du personnel de l'hôpital Al-Jalal à Benghazi a déclaré à HRW que l'établissement avait reçu samedi plus de 20 morts et que 25 blessés étaient dans un état critique, a ajouté M. Porteous, précisant que la majorité des blessés «présentaient des blessures par balles à la tête, au cou et aux épaules». Les affrontements ont eu lieu après qu'une foule, qui participait aux obsèques de manifestants tués vendredi, a attaqué une caserne militaire, a expliqué Quryna, proche de Seïf el-Islam Kadhafi, un des fils du numéro un libyen Mouammar Kadhafi. Les protestataires ont jeté des cocktails Molotov en direction de la caserne et les militaires ont riposté à balles réelles, a précisé le rédacteur en chef du journal, Ramadan Briki, en citant des sources des forces de sécurité. Des habitants cités par la BBC ont affirmé que les militaires avaient tiré à l'arme lourde.

Selon la chaîne Al-Jazira, les hôpitaux manquaient de sang pour soigner les blessés. Des «heurts violents» entre manifestants et forces de l'ordre ont également eu lieu samedi à Musratha, troisième ville du pays, faisant «des morts et des blessés», d'après des témoins qui ont précisé que les manifestants étaient descendus dans les rues en «soutien aux habitants de Benghazi».

Prise d'otages

Des «incidents» ont en outre eu lieu samedi soir dans certaines banlieues de Tripoli, notamment à Fachloum et Tajoura où des coups de feu ont été entendus, selon des témoins cités par des opposants résidant à l'étranger. Par ailleurs, un groupe islamiste « retenait en otage des membres des forces de l'ordre et des citoyens à Al-Baïda, dans l'est du pays», selon des sources officielles. «Un groupe d'extrémistes islamistes, qui se fait appeler l'émirat islamique de Barka (ancien nom de la région nord-ouest de la Libye), retient en otage des éléments des services de sécurité et des citoyens», a indiqué un haut responsable sous couvert de l'anonymat. Cette prise d'otages a commencé «durant les affrontements des derniers jours», a-t-il ajouté, sans plus de précisions. Ce groupe «demande la levée du siège imposé par les forces de l'ordre pour ne pas exécuter les otages», a-t-il affirmé. «Des négociations ont eu lieu samedi soir. Ces négociations ont été conduites du côté des autorités par le ministre de la Justice Mustapha Abdeljalil», a expliqué ce responsable, en indiquant qu'elles étaient «toujours en cours». D'après ce responsable, «les deux policiers pendus vendredi à Al-Baïda l'ont été par ce groupe». Parallèlement, les autorités ont annoncé avoir arrêté dans «certaines villes» des dizaines de ressortissants arabes appartenant à un «réseau» ayant pour mission de déstabiliser le pays, a rapporté l'agence de presse officielle libyenne Jana. Selon Jana, les personnes arrêtées sont de nationalités tunisienne, égyptienne, soudanaise, palestinienne, syrienne et turque. «Des sources proches des enquêtes en cours n'écartent pas l'hypothèse qu'Israël soit derrière ce réseau», a ajouté l'agence libyenne Jana.