C'en est devenu un my the : «la semaine prochaine, il va annoncer de
grandes décisions». Lui, c'est Bouteflika. Ou le Général Tantaoui par le biais
de Bouteflika. Ou l'armée par le biais du Général Tantaoui. Peu importe.
Beaucoup d'Algériens attendent donc que le changement soit livré à domicile,
sans casse ni facture, sans chaos ni douleur. C'est légitime. « Nous avons trop
payé », disent les morts et les nouveaux vivants. « Il faut qu'on se repose,
qu'on vive, qu'on aime et qu'on soit aimé, un peu, avant de mourir » et cela
est légitime. Donc une partie du peuple attend ces fameuses décisions que l'on
suppose désormais imposées par l'Histoire, les révolutions voisines et le bon sens.
Sauf que, d'une semaine à l'autre, rien ne vient. Rien n'a été fait contre le
tic-tac et le compte à rebours. Rien n'a été décidé sauf promettre dans les
villages et les villes des logements, de la semoule et de l'emploi fictif.
Beaucoup espèrent une sorte de révolution douce, qui se fasse à pied, fondée
sur le sourire, le consensus et l'intérêt commun et qui nous évitera des morts
et des os cassés. Beaucoup disent que même un simple citoyen de Oued-Soyouz est
capable de voir cette nécessité, de mener des réformes et de dire par quoi
commencer. Cela veut dire qu'en haut, là-bas au bout du doigt gigantesque du
peuple, là où le pipe-line se change en dollars, ils doivent comprendre, saisir
l'occasion et conclure rapidement. Sauf qu'il n'en est rien. Le Régime est
concentré entre deux mains et ces deux mains sont croisées derrière le dos d'un
homme qui regarde son reflet dans le miroir et qui murmure. Le Régime se
retrouve sans hommes ni idées, incapable de faire plus que d'envoyer des
policiers ou des mandats. Impuissant à imaginer autre chose que la persistance
et l'insistance. Incapable de comprendre que l'on puisse demander la liberté
alors que lui dit qu'il a apporté la Libération. Incapable de voir dans le cri
autre chose que le gargouillis de l'estomac et de comprendre que l'on puisse
demander à vivre au lieu de se contenter de manger.
Dans un insultant renversement des rôles, le Pouvoir envoie
Medelci, le ministre des Affaires étrangères, rassurer l'Occident comme s'il
s'agissait de son vrai peuple et de ses électeurs, et se contente de traiter
les Algériens comme des étrangers ou des immigrés à nourrir et à frapper alors
qu'il s'agit des véritables habitants de ce pays. Le Pouvoir n'a pas les moyens
de changer donc et cela est une vérité terrible. Il ne peut pas concevoir autre
chose que lui-même. On découvre avec effarement qu'il n'a pas de projet, pas de
rêve à partager, pas de destin commun et pas d'idées pour inventer même l'eau
chaude. Et c'est ce qui fait peur : le chaos peut venir nous frapper dans le
sommeil parce le Pouvoir laisse passer un temps précieux, rare, unique et
terriblement urgent. Il vit dans un monde et nous essayons de vivre dans
l'autre et, entre les deux, des CRS, de faux chiffres, des interdictions de
marches et un immense gaspillage. De Grandes décisions donc ? Oui. Elles sont
urgentes et c'est à chacun de les prendre.