A qui dire «Dégage» en Algérie ? Pour bien cerner le cas, il
faut comprendre la formule de l'un des amis du chroniqueur: «L'Egypte est
aujourd'hui l'Algérie des années 90». C'est-à-dire avec une armée qui prend le
pouvoir directement, un Président ultra présidentiel éjecté, un parti «unique»
en ruine et une explosion hors contrôle de la demande sociale et politique. Et
pour mieux comprendre, il faut imaginer une sorte de Général Tantaoui et des
siens qui disent ensuite «non», se rebiffent, ne lâchent plus le Pouvoir,
installent un Haut conseil semi-civil ou presque pas, redynamise les
Moukhabarates et se réclament de la légitimité de la lutte antiterroriste
puisqu'on est dans les années 90. En vingt ans, le Général Tantaoui importe
donc et consomme deux ou trois Présidents de la République en carton, étend son
pouvoir au point de contrôler une grosse partie de la rente et de l'économie de
son pays, pèse sur les élections, infiltre les partis politiques des opposants,
les journaux et toute la vie civile en nommant les ministres et en décidant de
ce que va dire, faire et faire croire le gouvernement du moment. Vingt ans
après, des émeutes éclatent puis des révoltes et, enfin, une révolution. Que
demandent alors les Egyptiens ? Ils n'arrivent pas à le dire et à le formuler:
ils savent que le président du moment est un président du moment qui cherche
lui aussi sa liberté et qui voudrait crier «Dégage» et «A bas le système». Ils
savent que le pouvoir est occulte. Que celui qui décide n'est pas celui qui
parle. Il y a vingt ans, à la place Tahrir, l'armée a sauvé le peuple et a
licencié le dictateur. Que faire quand c'est l'armée, c'est-à-dire la tête de
l'armée et pas l'armée du peuple, qu'il faut chasser ? Quels sont les risques ?
Il y a vingt ans, Tantaoui pouvait avoir le beau rôle et refuser de tirer sur
la foule sur ordre du Président. Que se passe-t-il quand Tantaoui est lui-même
Président réel ? Que doit dire le peuple ? «Dégage» ou, pour être précis, «Dégagez
!» ? A qui le crier puisque Ulysse s'appelle «Personne» selon la mythologie
grecque ? Quelle est la solution quand elle n'est pas militaire ? Que faire
quand l'armée n'est pas neutre mais partie prenante de l'équation ? Avec qui
discuter des réformes lorsque le Moubarak est lui-même Vice-Président de
Tantaoui ? Qu'est-ce que la transition dans le cas de l'équation Tantaoui chef
du chef ? Qu'est-ce que la Révolution quand l'arbitre est déjà goal adversaire
? Qu'est-ce la démocratie vingt ans après la place Tahrir ? Comment faire si
chasser Tantaoui équivaut à encourager Moubarak et si chasser Moubarak veut
dire que Tantaoui reste au Pouvoir ?