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C'est dans ses bureaux à Bruxelles, au siège du Conseil européen, que
Gilles de Kerchove, Coordinateur de la lutte contre le terrorisme de l'UE, nous
a entretenu, lundi après-midi, de la stratégie mise en place par l'UE dans sa
lutte contre le terrorisme.
Le Quotidien d'Oran.: Question d'actualité et même si cela n'entre pas directement dans le cadre de vos compétences, votre réflexion sur les «révolutions» tunisienne et égyptienne ? Gilles de Kerchove.: Comme vous le dites, cela relève du rôle du Conseil européen et du domaine de la politique étrangère de l'UE. Le président du Conseil, M. Van Rompuy, autant que Mme Catherine Ashton, se sont prononcés là-dessus, au même titre d'ailleurs que le président de la Commission et celui du Parlement. Cependant, puisque vous me le demandez, il est évident que je me réjouis de la manifestation de tels événements, tant ils sont porteurs de liberté et d'aspiration à plus de développement économique et de justice sociale. C'est aussi une très bonne nouvelle parce que cela démonte la rhétorique d'Al Qaeda qui prétend que les peuples revendiquent des gouvernements islamistes. Les événements ont montré que cela n'a rien à voir avec Al Qaeda, parce qu'El Qaeda ne répond pas aux attentes des peuples. Je n'ai pas vu de dérapage terroriste. Il faut dire que nous avons, avec ces événements, une espèce de discours contre narratif (à celui de l'islam radical et d'Al Qaeda) que nous devons prendre en considération. Q.O.: Quels sont les instruments mis en œuvre par l'UE dans la coopération antiterroriste avec l'Afrique, plus précisément avec les pays du Maghreb et du Sahel ? GDK: L'UE apporte tout son soutien aux structures mises en place par les pays du Maghreb et du Sahel. Nous aidons financièrement, mais pas seulement. Nous avons des échanges et des contacts réguliers sur toute actualité ou événement liés au terrorisme d'une manière générale. J'ai été moi-même plusieurs fois à Alger où j'ai rencontré, entre autres, les responsables du Centre africain d'études et de recherches sur le terrorisme (CAERT). D'ailleurs, je vais m'y rendre prochainement. Nous échangeons nos expertises et nous répondons présents à chaque demande qui nous est formulée. Ceci dit, je dois vous dire que L'Algérie a, de par son histoire récente, une très bonne expertise du phénomène terroriste, et l'UE en bénéficie beaucoup. Je rappelle aussi l'initiative algérienne qui a permis l'installation à Tamanrasset d'un état-major réunissant le Mali, le Niger, la Mauritanie et l'Algérie en avril 2010. Il y a aussi des initiatives nationales telle celle du Mali. J'ai été reçu par le président malien M. Amadou Toumani Touré qui m'a expliqué divers plans de sécurité dits PS - PSD, pour le déploiement de contingents militaires dans le nord du pays, dans la bande sahélienne. Q.O.: Le renseignement est capital dans la lutte antiterroriste. Sachant la nature qui caractérise les services de renseignements comme le cloisonnement et leur mission de protection des intérêts stratégiques nationaux, ont-ils un niveau suffisant de confiance dans leur coopération ? GDK: Je ne suis pas un «opérationnel» pour me prononcer là-dessus. En revanche, je suis persuadé qu'il reste de la marge pour une pleine confiance. Les événements et l'évolution du risque terroriste pousseront, certainement, à plus d'ouverture et de confiance. Ce qui est important c'est d'aller dans ce sens. Cela relève aussi de la souveraineté de chaque pays. Q.O.: Certains analystes estiment qu'Al Qaeda est une organisation structurée, avec une chaîne de commandement, des antennes à travers le monde, une stratégie, etc. D'autres, par contre, estiment que c'est un label dont use tout criminel ou groupe de terroristes pour se donner une dimension internationale et de la visibilité médiatique. Qu'en pensez-vous ? GDK : En vérité, Al Qaeda est mise sous pression en Afghanistan et ses environs par les forces armées sous commandement de l'Otan (surveillance et attaques avec les drones, harcèlements permanents de ses membres sur le terrain, etc.). Al Qaeda a été par le passé une force de propagande très forte avec une influence sur des jeunes, y compris chez nous en Europe pour quelques centaines de jeunes. Au Maghreb, le GSPC décapité par les forces algériennes s'est réfugié dans la bande sahélienne et s'est déclaré AQMI. Il a pris une «franchise» d'El Qaeda. En conséquence, il est nécessaire de nous interroger sur l'option d'une réponse essentiellement militaire et globale au terrorisme telle qu'elle a été préconisée au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Les choses ont changé et ont évolué. Des chercheurs en la matière préconisent de démilitariser un peu, de dé- globaliser et de décontaminer notre façon de lutter contre le terrorisme. L'UE encourage la décentralisation. Q.O.: Le territoire sahélien est immense et difficile d'accès. Dans ce cas, pensez-vous qu'il est utile de solliciter l'aide et la collaboration des chefs de tribus touaregs et autres dans la stratégie de lutte contre l'AQMI ? GDK: Il n'y a pas que les populations touaregs dans le sahel. Je pense qu'il faut une plus grande présence de l'Etat et on ne réussit que si l'on explique la nécessité du redéploiement de l'Etat dans la région. Il y a un très bon travail qui est fait, mais je pense aussi que les accords d'Alger sur la question n'ont pas suffisamment été mis en œuvre. Q.O.: Et le paiement des rançons aux terroristes ? Certains pays ont payé pour libérer leurs ressortissants. Comme l'Espagne, paraît-il. GDK: Vous le dites, mais je n'ai pas connaissance que l'Espagne l'ait fait. En revanche, il est clair qu'il ne faut pas céder aux demandes de rançons, parce qu'elles permettent aux terroristes de se pouvoir en armes. Vous savez que 2 millions d'euros, par exemple, sont une somme considérable dans ces régions, par rapport au pouvoir d'achat local ? Cependant, il se peut que les tractations autour de la demande de rançon soient utilisées comme une tactique, un moyen de gagner du temps, d'étudier la meilleure façon de riposter, etc. Vous voyez ? C'est assez complexe. Mais le principe est de ne pas céder au chantage de la rançon. Q.O.: Que répondez-vous au discours qui lie, systématiquement, le terrorisme à l'islam ? GDK: Il n'y a aucun lien entre religion et terrorisme. Le terrorisme est une idéologie et non pas une religion. D'ailleurs, les premières victimes en nombre du terrorisme sont les musulmans d'abord. Et puis, nous remarquons ces dernières années une augmentation sur la toile du Net des sites en langue anglaise qui prônent le radicalisme islamique ou glorifient le terrorisme; alors que ceux en langue arabe sont en nette diminution dans les pays arabes et musulmans. Q.O.: Il y a l'autre dimension du terrorisme, celle de l'informatique ou cyber-terrorisme. Que fait l'UE pour le combattre ? GDK: Je préfère parler de cyber-sécurité que de cyber-terrorisme. C'est plus approprié. Car, vous ne savez-pas en premier lieu qui est derrière une attaque : un gamin de 14 ans ? Un groupe maffieux ? Un groupe de terroriste ? Un Etat ? Si c'est le cas d'un groupe terroriste, il va privilégier d'abord de paralyser, par exemple, les réseaux informatiques des services de secours avant de procéder à un attentat. Certains virus sont dévastateurs. Imaginez qu'ils ciblent des centres stratégiques ou névralgiques comme une centrale nucléaire, un barrage, un système de navigation, etc. C'est pour ces raisons que l'UE doit se saisir totalement du dossier. L'UE y travaille pour élaborer une stratégie complète sur tous ces aspects, comme cela se fait aux USA. Nous avons mis en place un cercle de réflexion sur le sujet. Par ailleurs, le président français Nicolas Sarkozy a inscrit dans le programme du «G 20», dont il assure actuellement la présidence, la régulation de l'Internet pour une meilleure sécurité. L'Otan fait de même et a inclus la cyber-sécurité dans son nouveau «Concept stratégique». En termes clairs, je dirais qu'il faut pour l'UE, une doctrine de la cybercriminalité-cyber- sécurité. Enfin, il faut sensibiliser les entreprises et les particuliers parce qu'ils sont les plus exposés. Dans ce sens, la mise en place du programme «Dot.com» pour sensibiliser et alerter les entreprises privées et les particuliers sur la cybercriminalité doit être généralisée. Q.O.: Question que se posent les journalistes, voire même des politiques : votre place dans le système institutionnel de l'UE ? Vous dépendez de qui ? GVD: Très juste, on m'a souvent posé la question. En réalité, je dépends d'une autorité triangulaire : du président du Conseil européen, Van Rompuy, de la représentante aux Affaires étrangères, Mme Catherine Ashton, et de la présidente tournante (06 mois) de l'UE. Cependant, je travaille aussi en collaboration étroite avec la Commission, notamment sur le trafic des être humains par exemple. C'est à la fois riche et complexe. |
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