Après le panarabisme, le dogme de la spécificité. Aujourd'hui,
chaque pays «arabe», non encore restitué aux siens par la Révolution, parle de
sa spécificité avec une insistance qui fait sourire. On est très loin de ces
temps unanimes entre dirigeants arabes qui cosignaient les déclarations, se
réunissaient pour examiner «l'intérêt commun», s'embrassaient à Charm Echeikh
et appelaient à l'union, le commerce libre, la culture arabe et à la
solidarité. Aujourd'hui, chaque régime encore debout sur le corps des siens,
pas encore atteint par le domino voisin, s'échine à trouver dans le sac de ses
idées ce qui fait sa particularité : «On n'est pas comme les autres», «Chez
nous, la situation est différente», «Notre président n'est pas un dictateur»,
«Nous sommes sur le bon chemin de la démocratie». Fait révélateur relevé par
tous ici chez nous, le Pouvoir a mobilisé les siens pour expliquer ce genre de
différences aux Occidentaux. Tous parlent mais pas à nous. Le plus important est
désigné du doigt : l'opinion internationale par le peuple national. A nous, on
nous diffuse les images sans le son de l'ENTV filmant Bouteflika réunissant ses
ministres et feuilletant de gros dossiers jaunis par l'éternité. Pour nous,
c'est le pan Massu conjugué au Plan de Constantine. Pour l'Occident, ce sont
les interviews, les campagnes d'ambassades, les réponses claires aux médias
européens et les serments de bonne foi. Un étrange spectacle de la doctrine de
souveraineté qui s'accommode de la main étrangère en courant l'embrasser et
expliquer que le peuple de là-bas est bien nourri, ne souffre pas et ne demande
rien. C'est donc le temps des pays «arabes» qui ne ressemblent pas aux pays
«arabes», des Moukhabarate qui ne ressemblent pas aux Moukhabarate et des
réformes qui ne ressemblent pas à ce qui se fait ailleurs. Donc et pour revenir
à l'Algérie, le temps est à l'explication. Pas pour nous, mais pour ceux qui
élisent les présidents arabes et leur accordent la légitimité des temps
modernes : celle de l'Occident.
La harwala et la
normalisation ont changé de géographie : ceux qui ont fait tomber leurs
dictateurs sont dans la normalisation ; les autres régimes sont dans la course
: pour rassurer l'Occident et pour hacher la viande hachée pour leurs populaces
tentées par la Révolution. Jusqu'à quand ? Jusqu'à... Pour le moment, l'idée de
base chez certains est qu'il est plus facile de réunir 30.000 policiers dans
une seule ville que de réunir un peuple autour d'une demande d'excuses et
autour d'un nouveau départ. L'autre idée est que le Peuple est mort dès
l'indépendance et qu'il n'en reste qu'« une minorité » à tabasser ou une
majorité à faire manger. Le régime court pour expliquer l'Algérie. Mais pas aux
Algériens.