Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Le Forum social mondial de Dakar a vibré avec les révolutions arabes

par Notre Envoyé Spécial A Dakar: Said Mekki

Le Forum social mondial de Dakar a été fortement «contaminé» par les vents révolutionnaires qui ont secoué la Tunisie et l'Egypte. L'économiste Samir Amin, très présent, en a retenu un enseignement optimiste : un autre monde est construction dans «des endroits où on ne l'attendait guère».

Le Forum social mondial (FSM) de Dakar, le second du genre à se tenir en terre africaine a été de l'avis général un réel succès et traduit l'arrivée à maturité du mouvement altermondialiste. Malgré une certaine désorganisation due à des changements de programme de l'Université Cheikh Anta Diop (UCAD) où se tenaient les travaux du Forum qui a suscité l'irritation de certains participants. Mais dans l'ensemble, tous se sont adaptés aux circonstances et les activités prévues ont pu avoir lieu pour le plus grand bonheur des étudiants dakarois et de très nombreux altermondialistes venus des quatre coins de la planète. L'ensemble des questions et des préoccupations du mouvement a pu être débattu par des intervenants qualifiés et parfois de haut niveau. Beaucoup de personnalités politiques de premier plan, l'ex-président brésilien Lula Da Silva, Evo Morales de Bolivie ou Hugo Chavez, sont venus témoigner de leur solidarité avec le FSM. Il faut dire que le comité local d'organisation, où figurait le grand économiste égyptien Samir Amin a su compenser les failles inévitables d'organisation en faisant preuve d'une très grande disponibilité et d'un indéniable savoir-faire diplomatique. Les approximations logistiques ont été plus que compensées par l'ingéniosité locale et par l'extraordinaire richesse des débats. Le seul incident sérieux est venu d'une délégation officielle marocaine, forte de 1200 membres, qui en contravention avec tous les usages des FSM s'en est pris à des femmes sahraouies qui défendaient le droit de leur peuple à l'autodétermination. La colère des officiels qui contrastait avec l'attitude bien plus démocratique des syndicats et ONG marocains, est nourrie par le fait que c'est bien la première fois qu'une délégation du Sahara Occidental parvient à entrer au Sénégal allié traditionnel de Rabat. L'incident est d'autant plus remarquable que nombre de questions épineuses ont pu être débattues dans une sérénité remarquable. Ainsi, les Ivoiriens, divisés entre pro-Ouattara et pro-Gbabgo, ont pu échanger à proximité de la tente palestinienne, dans un esprit que tout le monde a apprécié.

Intelligence du débat

Les positions étaient irréductibles sans que jamais le ton monte et que les règles de la bienséance ne soient malmenées. C'est cette intelligence» du débat qui aura prévalu dans tous les séminaires et ateliers. Le FSM de Dakar a permis l'organisation de plus d'une centaine d'ateliers et la production de nombreux documents, en matières économique, environnementale et politique. Les thématiques économiques, notamment l'accaparement des terres agricoles du Sud par les multinationales, la question des matières premières et des migrants ont été particulièrement suivies et débattues. Objet de toutes les attentions de Samir Amin, les syndicats africains ont regroupé des militants qui n'auraient jamais pu se rencontrer ailleurs et ont lancé des processus de réseaux à la formation syndicale et à la convergence des luttes. Les thématiques politiques, notamment la question du panafricanisme, ont permis de montrer à quel point les jeunes Africains sont demandeurs d'une information politique qui fait défaut. Sur les nouvelles formes de domination et de racisme, les remarquables interventions du Sénégalais Doudou Diégne, ancien rapporteur de la Commission spéciale sur le racisme des Nations Unies, et la militante Mireille Fanon Mendés France, ont permis un débat qui se poursuivait bien après la fin prévue de l'atelier organisé par la Fondation Fanon. Moussa Tchangari, membre de l'association Alternatives-Niger a su captiver l'attention de son auditoire lors de son plaidoyer sobre et argumenté sur la nécessité de réinventer le Panafricanisme. Les participants étrangers, surtout ceux du Nord, ont pu voir la réalité subie par les habitants de ce pays d'Afrique de l'Ouest, de la confiscation des terres au surendettement des paysans en passant par le pillage des ressources halieutiques. Mais ils ont pu mesurer le courage et la détermination de populations beaucoup moins soumises qu'on a longtemps voulu le croire. Des exemples concrets d'organisations autonomes ont pu être présentés et les acteurs semblent galvanisés par le vent libérateur venu d'Egypte et de Tunisie.

Les tunisiens portés en triomphe, les égyptiens très applaudis

Ce FSM en terre africaine de l'avis de ceux qui sont dans cette dynamique depuis son origine a été dominé de bout en bout par les révolutions populaires arabes. Lors de la formidable marche inaugurale à travers les rues la délégation tunisienne était l'une des plus photographiées et les Sénégalais comme les autres Africains se réjouissaient et allaient jusqu'à porter en triomphe des Tunisiens ravis, partagés entre incrédulité et exultation. Dans une très joyeuse cacophonie la marche des altermondialistes, forte de 70 000 personnes, a été un défilé festif où se côtoyaient les représentants de toutes les causes sociales, écologiques, et d'émancipation politique. Mais à l'applaudimètre, c'est bien la petite délégation égyptienne qui remportait déjà la palme. Que dire alors de l'énorme clameur qui a secoué l'université Anta Diop quand, durant la cérémonie de clôture, l'animateur annonça le départ de Hosni Moubarak ? Ouvert par la Tunisie révolutionnaire, le FSM s'est clos sur une fête réunissant des gens de tous âges, d'horizons divers et de sensibilités politiques très différentes mais toutes unies dans la célébration de l'héroïque victoire du peuple égyptien. Selon Samir Amin, «La 11ème édition du FSM démontre qu'un autre monde est possible et qu'il est même en construction dans des endroits où on ne l'attendait guère.» De très nombreux documents sont attendus dans les jours qui viennent, notamment sur la question de l'eau qui inquiète au plus haut point les associations africaines.