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Commerce : un Conseil de la concurrence non désiré

par Ali Bouazid

A la faveur de la flambée des prix de l'huile et du sucre, au mois de janvier dernier, les pouvoirs publics ont dépoussiéré le Conseil de la concurrence. Prévu par la loi, ce Conseil devrait contribuer à mettre de l'ordre dans les activités de distribution et de services, y compris l'importation, pour asseoir une certaine transparence et crédibilité dans les transactions commerciales, en général. Un mois après la crise, on ne voit rien venir.

Il faut savoir que ce Conseil de la concurrence, composé de neuf puis de douze membres, n'est pas un club qui siège occasionnellement mais une institution qui doit travailler à plein temps. Selon les dispositions actuelles en vigueur, il adresse un rapport annuel d'activité à l'instance législative, au chef du gouvernement et au ministre chargé du commerce. Aucun esprit algérien n'a été marqué par les délibérations de ce Conseil pour la raison bien simple que depuis sa création par ordonnance en janvier 1995 (!!), il a été le plus souvent gelé. Il a échappé au tumulte de la grande scène commerciale qu'est devenue l'Algérie durant ces deux dernières décennies. Du moins, l'a-t-on mis out pour des raisons qui échappent à l'entendement de très nombreux rigoureux économistes. Ce Conseil de la concurrence est un enfant non désiré, diraient les psychologues. Pas vraiment puisque cinq ans après l'ordonnance de 2003, cette législation a été revue et les prérogatives de ce Conseil ont été précisées, affinées. C'était en mai 2008. Depuis, on imagine qu'il aurait dû être opérationnel. Rien de tel, néanmoins.  

Petite jurisprudence

Pourtant, à ses tous débuts, le Conseil de la concurrence a travaillé. Il n'a pas croulé sous les dossiers. Mais, il a laissé quelques traces. Il n'a pas été possible de mettre des dates sur ces trois cas d'espèces que l'on a pu recueillir mais qui doivent remonter à la deuxième moitié de la décennie 90. Ainsi, dans l'affaire «Conseil de la Concurrence contre la SNTA (Société Nationale des Tabacs et Allumettes)» : «le Conseil de la concurrence a sanctionné la SNTA en lui infligeant une amende pécuniaire de 768.000,00 DA pour abus de position dominante voire monopolistique et pratiques discriminatoires envers ses clients. Le Conseil a été saisi par une requête d'un client victime de ces pratiques. Parmi les infractions constatées : les ventes discriminatoires, la SNTA approvisionnait certains clients de façon privilégiée jusqu'à hauteur de 1.000 paquets par livraison contrairement aux autres acheteurs qui recevaient uniquement 100 paquets voire voyaient leurs demandes d'approvisionnement rejetées?».

 Dans l'affaire «Conseil de la concurrence contre l'ENIE (Entreprise Nationale des Industries Électroniques)» : «le Conseil de la concurrence a condamné l'ENIE à une amende pécuniaire de l'ordre de 4.348.560,00 DA pour abus de position dominante et pratiques discriminatoires envers ses partenaires commerciaux. Le Conseil a été saisi par un groupe d'agents économiques victimes de ces pratiques anticoncurrentielles qui peuvent être présentées comme suit : - approvisionnement sélectif des clients (satisfaction excédentaire des commandes de certains clients au détriment d'autres qui n'étaient pas desservis) ; discrimination dans les modalités de paiement consenties aux clients?. Cette entreprise a abusé de sa position dominante voire monopolistique sur le marché que lui conférait son statut de principale entreprise nationale de distribution des produits électroniques?.»

Dans «l'affaire Conseil de la concurrence contre SAFEX» : «le Conseil de la concurrence a conclu en 2000 un arrangement à l'amiable avec la SAFEX (Société algérienne des foires et expositions) afin qu'elle cesse de faire des actes discriminatoires entre ses clients. En effet, cette société publique a abusé de sa position dominante en ne faisant pas payer ses filiales auxquelles elle louait gratuitement ses espaces d'exposition et de vente alors qu'elle faisait payer les autres agents économiques (taxes)».

La jungle

Voilà quelques échantillons d'actes de régulation pris par le Conseil de la concurrence durant le laps de temps où il a pu siéger. Imaginons ce qu'aurait pu être, en volume, la jurisprudence du Conseil de la concurrence s'il avait activé sans cesse depuis sa création en 1995 ! Pourquoi l'Etat n'a-t-il pas appliqué cette loi ? On l'a ignorée. Pour le professeur Abderrahmane Mebtoul, «ce gel favorise le passage d'un monopole public à un monopole privé surtout pour des produits dont 70% de la population consacre 80% de ses revenus, donc des enrichissements sans corrélation avec l'effort fourni ; monopole beaucoup plus néfaste que le monopole public car la logique de tout secteur privé est le profit maximum et le privé algérien n'échappe pas à cette règle universelle». Il est clair que l'éclipse délibérée du Conseil de la concurrence, dont le ministre du Commerce a annoncé le mois dernier la «prochaine» mise en activité, a largement contribué à la naissance d'une jungle commerciale huilée par la «tchipa» et où barbotent des milliers d'acteurs du petit vendeur à la sauvette à l'importateur d'un (01) seul conteneur bourré de pétards. Vingt ans après l'ouverture de l'économie algérienne, le bouillon n'a pas encore donné naissance à la culture de la concurrence.