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LISTING «APOLITIQUE»

par K. Selim

Emploi, logement, cherté de la vie, mauvaise gestion des assemblées élues, absence de canaux de communications, bureaucratie, faiblesse des dispositifs de l'emploi, corruption, spéculation, absence de la classe politique sur la scène publique, affaiblissements des institutions de socialisation, hogra? La liste, pas exhaustive, n'est pas le fait d'un opposant «négationniste» - une nouveauté qui vient d'être introduite dans le lexique local ? mais celle du ministre algérien de l'Intérieur, Daho Ould Kablia.

 Les politologues algériens d'aujourd'hui se gratteront le crâne en découvrant que, selon le ministre, ces problèmes ont un caractère «plus social et matériel que politique». Même les plus modérés des analystes verraient dans le listing de M. Ould Kablia, homme a priori très informé, la preuve d'une crise systémique hautement politique.

 Le fait que ces problèmes se posent dans un pays qui ne manque pas de ressources financières ? et qui ne sait pas comment retenir ses meilleures ressources humaines - le démontre encore davantage. Cette volonté de «dépolitiser» les problèmes est particulièrement étonnante après les évènements de Tunisie et ceux qui se déroulent actuellement en Egypte. Le régime de Ben Ali, qui passait pour un modèle du genre, a craqué sous l'effet de problèmes qui pouvaient paraître comme plus «sociaux et matériels» que politiques.

 Il faut d'ailleurs rappeler que la politique n'est pas une activité ludique, mais une confrontation dynamique et pacifique entre intérêts divergents. Elle est le moyen par lequel des sociétés organisées parviennent à une meilleure affectation des ressources de manière à servir l'intérêt général. Elle implique donc un débat contradictoire, une opposition, des contre-pouvoirs et l'existence de mécanismes qui permettent de changer une situation injuste ou dépassée.

 Aucune société n'est parfaite. Mais les systèmes politiques ouverts, où les citoyens ont le droit de s'organiser, de s'exprimer et ont la possibilité de sanctionner les gouvernants sont les plus performants et les plus stables. Quand des problèmes aussi nombreux que ceux énumérés par M. Ould Kablia s'accumulent, cela signifie que les politiques publiques sont inefficaces. Dans un pays ouvert, le gouvernement est responsable de la situation et il ne peut pas nier que les problèmes relèvent de la politique. Leur solution relève également de la politique. En science politique, le système politique reçoit des demandes de son environnement (input) et leur apporte des réponses (output). On l'apprend en première année de sciences po. Basique.

 David Easton, qui a développé cette analyse systémique, n'était pas un dangereux révolutionnaire marxiste. Il aurait néanmoins conclu, devant une telle accumulation de problèmes «à caractère social et matériel», qu'il existe une crise politique systémique. Il aurait logiquement estimé que cette longue liste de problèmes est le signe que les demandes (input) n'arrivent pas au système politique, faute de médiations sérieuses. Ou alors qu'elles parviennent de manière biaisée et que le système politique leur apporte de mauvaises réponses.