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«Justes, ne
craignez point le vain pouvoir des hommes. Quelque élevés qu'ils soient, ils
sont ce que nous sommes, et c'est le même Dieu qui nous jugera tous.»
S'il est difficile de jouer les prophètes, de lire dans le café au lait pour savoir sur quoi va déboucher le fantastique sursaut populaire tunisien, il y a assurément des mécanismes et des invariants, propres à tous les régimes arabes, qui sont activés à Tunis. La manipulation des foules, leur infiltration par des officines, le rôle ambigu de l'armée et des services, l'achat et la vente de barbouzes, le pluralisme de façade, la fermeture médiatique, la haine absolue des voix critiques, les arrestations et la diffusion de la peur sont fondateurs et constitutifs des gouvernances arabes. Sans aucune exception. Certains dirigeants, selon des différences de degré, y ajoutent le cynisme, le mépris affiché envers leur pays et leur peuple, la corruption massive, la prédation, le mensonge et affichent des surcharges pondérales, un âge avancé et des maladies handicapantes. Le séisme politique qui a secoué la Tunisie a été largement révélateur des peurs, des terreurs et de l'aphasie des régimes arabes, à part celui de Khadafi. Les gouvernants arabes, tous sans exception, sont restés sur la même ligne, des jours et des jours, tétanisés, et surtout n'ayant strictement rien à dire, et surtout pas leur solidarité avec un membre de leur club, indiscutable durant 23 ans. Les partis politiques arabes au pouvoir et le gouvernement français ont eu la même démarche au début restée inchangée pour les dirigeants arabes. Ces derniers ont été plus neutres qu'un enfant autiste, se contentant de dire leur compassion, leur «vœu» pour «Ennayer» de bonheur, de calme et de prospérité pour le peuple «frère» de Tunisie. Sans aucun mot sur les pratiques barbares du dictateur qui a fui comme un simple voleur de poulet dans un avion qui ne lui appartient pas. De son côté, plus cohérent, avec un humour de mauvais goût, se moquant de toute la planète, le leader, zaïm farfelu et toujours «bien aimé» Khadafi ne comprend pas l'impatience des Tunisiens et considère Ben Ali comme président jusqu'en... 2014. Mais d'ici là, Al Djazira, la reine mère, offre la meilleure couverture du monde pour ce qui est de la Tunisie et du monde, réduisant les chaînes étatiques arabes au rôle de petits communicants amateurs, très loin des réels national et arabe. Comment être fiers, pour les jeunes, de leur gouvernement, de leur audiovisuel et devant des personnels politiques officiels sans charisme, sans idée, sans programme, sans personnalité ni liberté ? Des courtisans bien sages, bien plats, profondément enracinés dans la pensée unique, indépassable, mais heureusement contournés chaque jour par la société et la jeunesse, font semblant de gouverner en étant la risée des pays démocratiques devant lesquels ils ne font que bégayer des velléités et des discours trop périmés, très éloignés du monde, peu représentatifs des compétences et des potentialités des peuples qui les haïssent sans limite. Et réciproquement. Il ne faut pas être sorti d'une grande école ou occuper un poste important, civil ou militaire, pour comprendre très facilement que, depuis le reflux massif de l'islamisme politique, les pays arabes sont prêts pour aller rapidement à un système politique démocratique, de libertés, de pluralismes politique, médiatique, associatif, d'égalité entre les sexes, à l'abri de lois au-dessus de tout et de tous. La malédiction organisée par des systèmes, des réseaux à diffusion internationale, les déficits de légitimité, de compétence, d'intégrité des dirigeants arabes font que les dénouements des crises sont toujours dramatiques. Le coup d'état, l'assassinat, des élections truquées, le viol des constitutions, la fuite honteuse, les «démissions spontanées», les exils durant des décennies, des destins brisés à jamais, des pays bloqués par des politiques culturelles de bric et de bric, d'archaïsmes, de censures débiles d'un autre âge, des richesses spoliées, ce sont là les réalités caractéristiques de tous les régimes arabes. Celui qui est tombé à Tunis est représentatif, emblématique des évolutions des pays de la région depuis les indépendances politiques vidées de sens depuis longtemps. Dans la quête, toujours refusée, de démocratie et de libertés, les pays du Maghreb perdent chaque année des potentialités, des compétences, des terres, des énergies et des espérances. Dans l'attente, stérile, d'un homme charismatique, moderne, d'institutions républicaines durables, de lois, d'élites propres et proches des gens, ces pays perdent du temps, des ressources et désespèrent des jeunes prêts à tous les drames et aventures. Les derniers discours du «zaïm» tunisien, qui sait tout sur tout, avaient en écho tous ceux tenus dans le monde arabe après une émeute, un drame, une manifestation réprimée, un livre ou un film censurés. Les jeunes sont des «casseurs, adorateurs du vol et des destructions. Ils n'ont rien à voir avec d'éventuelles revendications sociales et économiques». «Le pouvoir a fait?», «a construit?», «a acheté?», etc. L'alignement de chiffres quantitatifs est la bible des partis uniques qui gouvernent sans jamais faire la moindre erreur. Leur essence divine les en préserve. Et si le pouvoir est la plus puissante des drogues, les dirigeants arabes y ajoutent un messianisme religieux, des allers-retours à la Mecque, refuge de despotes et d'argent volé, la conviction que «la populace» leur est redevable puisqu'ils perdent leur temps à la gouverner, à l'emprisonner, la torturer en détournant l'essentiel des richesses arrachées au prix fort au colonialisme, à la nature par la sueur, justement de «gueux» qui veulent être libres et citoyens. Les gouvernements arabes, du moins presque tous, ne tireront aucune leçon du sursaut tunisien, tout comme ils ont joué la montre depuis leur arrivée au pouvoir. Ne comprenant pas la nécessité du suffrage universel, ils y vont une seule fois pour certains, plusieurs fois pour un siège au Parlement et d'autres font allégeance, se font plus idiots qu'ils ne sont pour décrocher un décret et ensuite radoter, laisser faire le temps, changer de politique et de cap plusieurs fois par an et? grossir. La postérité et l'amour des peuples leur sont refusés. Restent l'âge, la maladie, les accidents politiques contre lesquels ils épuisent toute une vie sans vrais plaisirs et vacances, sans visiter les merveilles du monde, sans aller au cinéma, au théâtre. Certains évitent les grandes démocraties où il y a toujours une ONG, un concitoyen exilé, un magistrat fouineur en chasse. Elle est triste la vie des autocrates arabes, sa fin est souvent lugubre ou tragique dans un lointain pays, au milieu de trésors, de billets de banque par millions avec des nuits hantées par des morts, des suppliciés, des malades sans assurance, des vies entières passées dans des bidonvilles. Alors, au bout du rouleau, ils font pénitence, font vingt fois le voyage à la Mecque, tombent dans le mysticisme et font assaut d'une morbide religiosité extérieure, là ou les simples croyants savent et disent que Dieu lit dans les cœurs durant toute la vie terrestre. Que souhaiter à la Tunisie? D'être le premier pays arabe à réussir là ou les pouvoirs, les élites, les oppositions, les charlatans de la foi, les partis uniques à plusieurs, les artistes de la «Oumma» ont échoué. Le chemin sera dur, compliqué, «arabe» en quelques sorte, mais les Tunisiens ont tordu le cou à une première légende: on les croyait trop doux, trop civilisés, trop pacifiques pour se révolter. Ben Ali ne les a donc jamais compris, représentatif qu'il était de ses collègues de la Ligue arabe. |
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