|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Quelle conclusion
va clôturer le compte-rendu de l'enquête commandée par le Président sur les
immolations par le feu de jeunes algériens ? Que «l'Algérie ce n'est pas la
Tunisie» comme l'a si tristement annoncé Louisa Hanoun ?
Ou que le nombre de concernés n'est pas assez important pour créer un phénomène inquiétant, au point où le scénario tunisien se réédite chez nous, avec ce qu'il a comporté comme prise de conscience et comme force d'une rue habituée à un calme artificiel ? Le scénario tunisien s'est joué avec un seul immolé par le feu. Son nom est entré dans l'Histoire par la grande porte poussant ceux qui pensaient la faire sans lui et ses semblables à en sortir par un hublot. Il a déjà une biographie officielle annonçant qu'il était «vendeur de fruits et légumes ambulant habitant à Sidi Bouzid, ville moyenne de quarante mille habitants située dans le centre-ouest du pays. Fils d'ouvrier agricole, il a arrêté ses études à la mort de son père pour faire vivre sa famille, son activité de vendeur constituant leur seul revenu. Ne possédant pas d'autorisation officielle, il se fait confisquer sa marchandise à plusieurs reprises par les employés municipaux. Essayant de plaider sa cause et d'obtenir une autorisation et la restitution de son stock auprès de la municipalité et du gouvernorat, il s'y fait insulter et chasser ». Mort à 26 ans pour défaut de présentation d'une autorisation de gagner sa vie comme il le pouvait, dans un pays fermé à l'espoir et à toutes les autorisations. Mais pas mort pour rien comme l'a prétendu dans son discours diarrhéique le guide des Libyens du haut de sa mégalomanie insultante, honteuse, mais toute arabe. Pas mort pour rien, car sans préméditation de ce qui allait suivre, en seulement sacrifier un corps qu'il jugeait inutile et offrir à un peuple les limites de l'indignation. Les Tunisiens ont su donner un sens au sacrifice. Son message ? Simplement écrit sur facebook mais combien complexe «Je quitte, maman, pardonne-moi, les reproches sont inutiles, je suis perdu sur un chemin que je ne contrôle pas, pardonne-moi, si je t'ai désobéi, adresse tes reproches à notre époque, pas à moi, je quitte et mon départ est sans retour, j'en ai marre de pleurer sans larmes, les reproches sont inutiles dans cette époque cruelle, sur cette terre des hommes, je suis fatigué et je ne retiens rien du passé, je quitte en me demandant si mon départ m'aidera à oublier ». La suite, tout le monde la connaît maintenant. La suite c'est que les peuples dominés par leurs gouvernants, méprisés, réduits poussés au suicide, savent qu'il est possible de les chasser par immolation. C'est possible et c'est la première des conclusions que devrait comporter le rapport commandé sur les immolés par le feu en Algérie. La deuxième conclusion c'est qu'il ne s'agit plus là de casseurs ou de voyous ni de terroristes attirés par la rançon produits par les régimes bananiers, mais de chômeurs ayant épuisé toutes les voix de recours. Y compris la «harga» traduite jusque-là par «émigration clandestine», pénalisable, menant vers des prisons inhumaines où règnent l'humiliation, la dépersonnalisation, l'incertitude, la rapine. Jusque-là. La harga aujourd'hui passe par l'immolation par le feu du corps et ne peut être pénalisée. La loi est coincée et ceux qui espèrent l'instrumenter aussi. Et c'est la troisième conclusion du rapport. On ne peut pas tuer un mort ni l'emprisonner, ni le sanctionner. On peut tout juste l'enterrer par milliers, puis se retourner vers ceux qui ont été à l'origine de son suicide. Les mal-élus, les détenteurs d'une signature sur une autorisation, les faiseurs de lois sans suite, les complices et les complices des complices, les silencieux devant l'injustice, les mendiants en cols blancs, qui ont accepté de tendre la main au risque d'engloutir un pays fait pour des titans. Les partis, les parties de partis, les opposants qui s'enrichissent, les partisans du moment, les alliés, les frères, les sœurs, les cousins et autres membres des tribus régnantes. C'était ça la Tunisie qui ne ressemblerait pas à l'Algérie selon Hanoun Louisa. Quant à l'immolation par le feu on peut dire aujourd'hui qu'outre le fait qu'elle soit déjà algérienne, elle est aussi égyptienne et mauritanienne. Faut-il alors profiter du sommet de Charm El-Cheikh pour ouvrir une enquête dans chaque pays arabe ou se préparer à en ouvrir une en cas de survenue ? Que va pouvoir dire à ses pairs le leader (ou dealer) libyen ? Que la Tunisie a été bien gouvernée par son ami Ben Ali et sa pulpeuse femme et que le peuple est dans l'erreur ? Que son modèle de gouvernance loufoque devrait les inspirer parce que porteur de fermeture jusqu'à immolation par le feu de jeunes, qui, au-delà du chômage et de la mal vie se voient obligés de supporter leurs dictatures ? N'a-t-il pas dans son discours grossier à l'adresse des Tunisiens, expliqué que l'enfant du peuple ne sera jamais gouvernant car non concerné par le changement ? N'en déplaise à ceux ne disant mot sur la révolte des enfants d'Hannibal gardant un silence consentant par peur que le feu ne s'allume chez eux, le nom de Bouazizi, un enfant du peuple justement, restera planté dans les langues et dans les rêves d'une génération qui refuse la hogra et qui a bien intériorisé le célèbre «we can». «We can» transformer le feu en eau et éteindre les incendies si seulement les rapports et leurs conclusions pouvaient permettre de dire la vérité aux gouvernants enfermés dans leurs palais jusqu'à l'explosion. Même après leurs fuites. |
|