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Economiste et principal conseiller
économique du Président Zeroual au cours des années 90, Abdelmadjid Bouzidi
travaille depuis plusieurs années sur la situation des économies maghrébines,
notamment, nous dit-il, dans le cadre d'un réseau non officiel d'universitaires
et de chercheurs «qui croient au projet d'intégration du Maghreb et de
l'Afrique du Nord».
Quelles sont pour vous les causes les plus immédiates de ce que les Tunisiens ont commencé à appeler la révolution des jasmins ? Parmi les facteurs les plus importants dans le déclenchement de ce mouvement, je pense qu'il faut souligner d'abord le rôle de la malvie de la jeunesse tunisienne et particulièrement des diplômés du supérieur qui ne trouvent pas à s'employer. En Tunisie, l'enseignement supérieur est une machine qui fonctionne pour elle-même. Le système éducatif est caractérisé par une logique d'offre et non pas par une logique de demande. C'est un pays ou on a formé beaucoup de jeunes sans se soucier de savoir si cette formation correspond à un besoin de l'économie. De plus, l'économie tunisienne, en raison de la nature des secteurs qui y sont les plus développés, n'offre pas suffisamment d'emplois qualifiés à cette jeunesse diplômée. De leur côté, les jeunes sans formation se sont tournés vers le secteur informel qui sert d'exutoire mais en même temps les pouvoirs publics tunisiens font la chasse à l'informel en privant ainsi beaucoup de jeunes du pays d'une occupation et d'une source de revenus. Il y a évidemment dans cette situation beaucoup de similitudes avec ce qui se passe chez nous. On peut certainement relever également une troisième cause qui tient à l'importance de la corruption et du clientélisme ainsi qu'à une conception patrimoniale et familiale du pouvoir. La rue tunisienne, bien au fait de ces pratiques qui se sont développées sur une grande échelle, a exprimé son ras-le-bol. Peut-on également identifier des causes plus structurelles qui tiennent à ce que l'on pourrait appeler les limites du modèle tunisien ? En Tunisie, sous une apparence de libéralisme, il existe une bureaucratie d'Etat qui exerce un contrôle considérable sur la vie économique du pays, qui tolère ou ne tolère pas telle ou telle activité, qui peut accorder des passe-droits ou refuser l'exercice d'un droit en dépit des lois et des réglementations en vigueur qui définissent de façon formelle les règles du jeu. La Tunisie est aussi un pays où l'étatisme est étouffant, le plan y est toujours l'instance décisive d'allocation des ressources économiques et l'administration contrôle tout. Ce qu'on appelle le modèle tunisien repose également sur le primat donné aux classes moyennes par le biais des crédits à la consommation accordés par les banques publiques qui accumulent des créances douteuses et qui sont sans cesse recapitalisées par le budget de l'Etat. Ceci s'effectue au détriment des couches les plus pauvres de la population pour lesquelles, au contraire, les subventions diminuent d'année en année sous l'effet d'une politique de rigueur budgétaire, par ailleurs imposée par une baisse des recettes due à l'importance de l'évasion et de la fraude fiscales. L'économie tunisienne présente en outre beaucoup de fragilités parmi lesquelles on peut mentionner une industrie de bout de chaîne, une forte dépendance alimentaire ainsi qu'une grande dépendance vis-à-vis de l'Union européenne aussi bien pour les importations que pour les exportation, le tourisme ou encore les IDE. Quels sont les principaux atouts dont dispose la Tunisie pour surmonter la crise actuelle ? Compte tenu des moyens dont elle dispose et sous réserves des fragilités que je viens de signaler, l'économie tunisienne est une économie qui fonctionne, produit des richesses et affiche une bonne croissance même si celle- ci reste contrainte par l'extérieur. La Tunisie est également un pays qui dispose d'une technostructure efficace que l'Etat a protégée et qui fait fonctionner le modèle. Au plan politique par contre, le parti unique fondé par Bourguiba et repris d'une main de fer par Ben Ali a empêché l'émergence d'une élite politique. C'est la centrale syndicale qui est la force organisée la plus significative et la société civile n'existe pratiquement pas. Un atout de la Tunisie est certainement constitué par l'importance de la diaspora, l'élite en exil, dans laquelle elle pourra puiser pour tenter d'assurer une transition démocratique soft et réussie. Il reste que l'islamisme politique est bien présent et qu'il faudra être capable de le gérer. Quelles sont selon vous les leçons que notre pays devrait tirer de l'expérience tunisienne ? Il y a beaucoup de similitudes entre nos deux pays en matière de gestion de la société et de gouvernance de l'économie. On retrouve les fragilités tunisiennes en Algérie. Mais quoi qu'on en dise notre pays a des institutions fortes qui ont d'ailleurs résisté à la tragédie nationale. Il dispose d'une économie mieux dotée en ressources naturelles même s'il reste à la faire fonctionner avec efficacité. Mais tout comme la Tunisie et je tiens à insister sur ce point, l'Algérie a plus que jamais besoin d'ouverture démocratique ; plus que jamais besoin d'être à l'écoute de sa jeunesse et a plus que jamais besoin d'élaborer un projet économique pour donner enfin un sens à la rente dont dispose le pays. |
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