La France
Sarkozienne vient de donner le ton en annonçant à la famille Ben Ali qu'elle
n'est pas la bienvenue au pays de Droits de l'Homme. Les embrassades et autres
accolades réservées particulièrement aux gouvernants arabes n'étaient en fait
que les signes d'une ruse dans l'intérêt de la seule France tant que les
capitaux circulent de manière harmonieuse et de préférence dans le sens qu'il
faut. «Tant que vous êtes au pouvoir et que vous tenez en laisse vos peuples,
on vous tend les deux joues, on vous laisse nous serrer dans vos bras
raccourcis par le chômage et la corruption, pour fournir à vos télévisions,
gourmandes de mensonges, de quoi faire croire en votre puissance fragile».
Mais, dès que les rues grondent et que s'annoncent à l'horizon le départ d'un
renouveau, la douce France se recroqueville et se ferme par le ciel et par la
terre, comme un coquillage. Une leçon de choses à retenir pour l'avenir incertain
de ceux qui croient échapper au destin de leurs peuples. L'Arabie saoudite
demeurera la seule destination, la dernière qui ouvre ses bras à cette fausse
fraternité incestueuse avant de disparaître à son tour. Même le petit Qatar
s'est dit respectueux du choix du peuple tunisien. Ce qu'il faut en déduire ?
Que les relations entre gouvernants ne sont qu'éphémères puisque traduisant la
volonté des peuples d'une part et celle de clans au pouvoir de l'autre. Elles
sont faussées par le déséquilibre entre des nations qui ont les moyens de
contrôler les richesses et leur distribution d'une part et celles qui n'ont
aucun droit de regard sur le Trésor public. Entre des nations qui sont
réellement représentées dans des institutions construites solidement et d'une
manière durable et celles auxquelles on impose des représentations minées par
la corruption et le mépris de la chose publique. C'est ce qui s'est passé avec
la Tunisie, et nous avons tout intérêt à en tenir compte, car non seulement
nous sommes voisins, mais nous avons aussi en partage une architecture commune
du pouvoir. La fermeture du champ des libertés ne peut mener qu'à des
catastrophes. Et la première d'entre elles c'est précisément l'opposition. Même
Dieu a créé sa propre opposition en Satan. Laisser l'opposition se manifester
naturellement c'est se donner cette latitude de se faire corriger en cas
d'erreur. Se faire rappeler à l'ordre si l'on va trop loin vers l'autoritarisme
et son produit immédiat, la dictature. La gifle reçue par Ben Ali et son
troupeau enfermés dans un avion à la recherche d'une terre d'asile devrait
donner matière à réflexion. Et si la Tunisie s'en sort par miracle, c'est que
la démonstration que son peuple est fort sera faite. Qu'a laissé derrière lui
Ben Ali ? Une constitution qui lui a donné le temps de fuir en attendant que la
vacance du pouvoir soit déclarée et des hommes qu'il a placés aux commandes du
pouvoir sans se soucier qu'ils peuvent se retourner contre lui. Dans le
meilleur des cas. Un parti loufoque vieilli par l'indépendance et une clientèle
qui a la possibilité de changer de cap au moindre vent violent parce qu'elle a
été recrutée par nécessité vitale, par conditions de grimper dans l'échelle
sociale. Comme chez nous. Comme depuis ce fameux article 120. Et maintenant ?
Et maintenant, les donnes ont changé et le principal soutien à toute cette
faune qui a dépecé la Tunisie en prenant sa peau dans son sac, la France,
jouant de son sens des affaires, se range du côté du peuple. La suite sera
probablement complexe et longue mais comme les Tunisiens, même s'ils ne savent
pas précisément ce qu'ils veulent, sauront au moins ce qu'ils ne voudront pas.
Ils l'ont crié et écrit sur des pancartes de fortune : «Du pain et de l'eau et
pas Ben Ali». Cela sonne mieux en arabe. Pour les autres peuples candidats à
l'onde de choc tunisienne, il suffit de changer le nom du gouvernant.