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La Tunisie est au centre du monde arabe. Pour la
première fois depuis des centaines d'années, un peuple arabe écrasé parvient à
se débarrasser d'un régime honni. Les acteurs institutionnels semblent jouer le
jeu d'une transition ordonnée malgré les tentatives désespérées des milices
bénalistes de semer le désordre et la confusion. L'armée tunisienne qui assume
concrètement la défense de la République reste en retrait d'un processus
confié, respect de la Constitution oblige, à des hommes issus du système.
Le président intérimaire Fouad Mebazaa a ordonné au Premier ministre Mohamed Ghannouchi de former un gouvernement d'union nationale. La question clef, celle de la place de l'islam politique, ne fait pas débat. Il est remarquable d'observer que l'épouvantail islamiste, qui avait valu un soutien aveugle de l'ex-métropole coloniale à la dictature de Ben Ali, n'est agité par personne. Le traitement très positif de la révolution tunisienne par les médias occidentaux s'explique largement par l'inexistence d'un encadrement islamiste et de slogans à caractères religieux lors des manifestations populaires. Mais de réelles pressions sont exercées sur les hommes forts de la transition pour réduire autant que faire se peut le poids des islamistes d'En-Nahda. La France qui se déclare en guerre contre «l'intégrisme islamiste» voit d'un mauvais œil l'émergence d'une démocratie où le courant islamiste serait un élément important. Ce n'est apparemment pas le cas des Américains, appuyés par les Britanniques, qui n'ont pas les mêmes apriori idéologiques et la même lecture des événements. Les Américains estiment que l'absence du mouvement islamiste dans la révolte tunisienne traduit son affaiblissement. Un article tout à fait édifiant publié par Foreign Policy estime que le renversement du régime Ben Ali a été rendu possible - l'armée n'ayant pas tiré sur la foule - par l'absence des islamistes, considérés comme très diminués par 23 ans d'une répression féroce. L'article signé par Michael Koplow se veut rassurant pour les autres régimes arabes confrontés à des réalités politiques et sociales où l'islamisme est une donnée essentielle. Selon l'auteur de l'article, ils n'ont pas à s'inquiéter tant que les Américains seront convaincus de leur utilité face à l'islamisme? La Tunisie serait en l'espèce une exception, un modèle dérogatoire. Il n'empêche que, malgré des jeux d'influences et des ingérences plus ou moins hypocrites, la transition chez nos voisins est d'une importance capitale et a valeur de référence pour l'ensemble de l'arc arabo-musulman. Il est donc essentiel que la classe politique de ce pays ne tombe pas dans le piège fatal de l'antagonisme «laïcs-islamistes» qui a fait tant de dégâts ailleurs au seul bénéfice des adversaires de la démocratie. On a fini par en être convaincu en dépit d'un discours ressassé jusqu'à la nausée : tous les islamistes ne sont pas des fanatiques bigots et tous les laïcs ne sont pas des ennemis de l'Islam. Il est vrai que la direction du mouvement islamiste tunisien est d'une tout autre qualité que celle que l'on a pu déplorer en Algérie ou dans d'autres pays musulmans. Il est donc fondamental que la transition tunisienne vers la démocratie soit du même niveau que la mobilisation populaire qui a éjecté de l'histoire un régime absurde. |
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