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La Tunisie bouge: Frustrations maghrébines

par Oualid Ammar

Après le troisième discours, jeudi soir, du président Ben Ali, caractérisé par des promesses d'ouvertures démocratiques inédites pour la Tunisie, le mouvement de contestation, auquel est intégré l'officiel syndicat unique l'UGTT (Union générale des Travailleurs Tunisiens), maintenait hier la pression pour obtenir carrément le départ du locataire du Palais de Carthage.

Au Maghreb, les populations oscillent entre l'admiration et la frustration. Quelle que soit l'issue de la révolte populaire tunisienne, inimaginable il y a quelques mois, plus rien ne sera comme avant en Tunisie et au Maghreb. Au Maroc, une chape de plomb s'est abattue sur les forces politiques et sociales qui ont voulu exprimer publiquement leur soutien aux Tunisiens. Une manifestation prévue, mardi dernier a été «sévèrement» interdite, a dit laconiquement l'écrivain tunisien Abdelwahab Meddeb. Elle devait se tenir jeudi, elle n'a pu avoir lieu non plus. C'est que les autorités marocaines craignent relativement un effet de contagion au Maroc même, ainsi qu'au Sahara Occidental occupé qui n'est pas encore remis de la répression de la protesta d'El Ayoun. Pour le moment, rien n'indique que les forces démocratiques marocaines, notamment les militants des droits de l'Homme aient des velléités à la tunisienne. Le Palais royal exploite à fond la «sacro sainte» symbolique de l'intégrité territoriale qui serait menacée par le Front Polisario. Elle est brandie, chaque fois que se pose une revendication jugée excessive par le gouvernement et le Palais. A l'Ouest, rien à signaler dans le sens où une vague de contestations d'ampleur, ne se profile pas, même si socialement il y a bien des motifs à faire valoir, pourrait-on dire sans grand risque d'erreur.

 Au centre, en Algérie, la situation est différente. On relève qu'au sein des partis siégeant dans les institutions élues et au gouvernement, on a suivi le cours des évènements de Tunisie, dans un silence de cathédrale. Officiellement, aucun communiqué, ni réaction de soutien au président Ben Ali n'ont été publié. On voit et on attend.

Colère sourde et infécondité

Par contre, au sein de la «mouvance démocratique», on est globalement frustré par la tournure positive prise par la contestation populaire. «Je suis impressionné», dit un jeune militant des droits de l'Homme. «Les Tunisiens sont la fierté du Maghreb», avance un autre militant convaincu que plus rien ne sera comme avant dans ce pays. D'autres espèrent que les voisins sont bien mis sur les rails de la démocratie. La frustration de la «mouvance démocratique» vient de l'incapacité à transformer la dernière vague de contestations, d'une fraction de la jeunesse en un essai politique réussi. Il y a quelques velléités islamistes via Ali Benhadj ou Layada, de canalisation de cette contestation, sans le moindre succès. Globalement, toute l'opposition «informelle» a été tétanisée. A sa décharge, il est admis que cette opposition a été boutée hors du champ politique et médiatique publique par diverses manœuvres et mesures, dont l'interdiction des manifestations à Alger depuis 2001. Et lorsque le ministre de la Jeunesse et des Sports, Hachemi Djiar a appelé les jeunes Algériens «à manifester pacifiquement», de nombreux observateurs politiques se demandaient s'il faisait dans la provocation ou si simplement il ignorait l'interdit en vigueur. Le RCD, qui essaie de prendre le train en marche, a voulu organiser une manifestation, il n'y a pas été autorisé, c'est dire que le verrouillage du champ de l'expression est bien réel.

 En Algérie, la rue a obtenu le recul de l'Etat sur les prix. Si la rue tunisienne obtient le départ du président Ben Ali, elle l'aura obtenu grâce à un mouvement populaire, incluant quasiment toutes les couches sociales dont l'élite du pays qui ont compris que le changement ou le basculement vers la démocratie, viendrait par l'union et la solidarité. Même si l'on s'accorde à dire qu'une colère sourde règne dans le pays, l'Algérie paraît loin d'une telle configuration. «La situation est inféconde», souligne-t-on.

 Enfin, en Libye, par mesure préventive, les autorités ont décidé de «supprimer les droits de douane et autres taxes sur les produits alimentaires, y compris les denrées de base, ainsi que le lait pour enfants». Il convient de signaler que durant les contestations populaires tunisiennes, le colonel Kadhafi a exprimé son soutien au président Ben Ali.