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«Lorsqu'un jour le peuple veut vivre?Force est pour
le destin de répondre Force est pour les ténèbres de se dissiper Force est pour
les chaînes de se briser.»
Tous les Tunisiens - beaucoup d'Algériens aussi - connaissent ces vers puissants du grand poète Abou ElKassem Echabi. La caste dirigeante tunisienne aussi connaît ces vers du poète national, elle a cependant depuis longtemps cessé d'en saisir le sens profond. Notamment le fait qu'ils expriment - et exprimeront toujours - un rejet de toute forme d'oppression, même celle qui se couvre des habits usés du paternalisme. Depuis le 17 décembre dernier, à la suite de l'acte désespéré d'une jeune victime d'une hogra policière, la Tunisie réelle reprend en chœur les vers du poète. Force donc pour le régime de céder ! Et il cède, mais avec parcimonie, à reculons, comme s'il n'avait pas encore compris l'ampleur de la colère. Comme s'il ne saisissait pas le niveau de la détermination des Tunisiens, des classes populaires, des élites et même d'une partie de la bourgeoisie à en finir avec un système qui humilie leur intelligence et fait peu de cas de leur dignité. Le président Ben Ali a limogé son ministre de l'Intérieur, Rafik Haj Kacem. C'est un signe, mais c'est une ouverture insuffisante. Trop peu pour apaiser un des plus grands mouvements de contestation sociale et politique depuis l'indépendance du pays. C'est trop peu pour une société qui a déjà subi des pertes humaines élevées pour avoir repris une parole confisquée depuis deux décennies au moins. Le chef de l'Etat a ordonné la libération des personnes arrêtées depuis le déclenchement de la contestation. Il lui reste encore à sortir des logiques répressives. Et à prendre acte, enfin, que le peuple tunisien est majeur et que les promesses d'emploi annoncées ne constituent pas une réponse à cet appel irrépressible à la liberté et à la dignité qui s'est étendu de Sidi Bouzid à l'ensemble de la Tunisie. Le pouvoir tunisien se tromperait lourdement si au lieu d'entendre son peuple, il se dit que la faible réaction de l'Europe et singulièrement celle la France sont les «bons signaux» à enregistrer. Dans ce registre, on a pu voir une intervention lamentable de l'ambassadeur de Tunisie à l'Unesco dans laquelle il essaye de présenter la contestation sociale dans son pays comme un complot de l'AQMI. Il agitait avec une joie mauvaise un communiqué très opportuniste d'un certain Droudkel, émir du néant qui ne représente que lui-même. Si le pouvoir tunisien est, aujourd'hui, du même niveau que son représentant à l'Unesco, il faut craindre pour ce pays. Et pour les Tunisiens. La Tunisie est grosse d'une volonté de changement. L'intelligence, s'il en reste encore au pouvoir, commande d'en prendre acte et de l'accompagner. Ce pays, contrairement à l'Algérie, ne dispose pas d'une rente sur laquelle le pouvoir peut jouer. Il est face au réel. Il y a eu une prise de parole de la part de la population et elle ne veut plus la céder contre de vaines promesses. Pas même quand les pays européens chantent les louanges du régime en place. Le pouvoir tunisien mettra en danger le pays s'il ne comprend pas que cette clameur est une réappropriation de soi? Le peuple de Chabi veut vivre libre, il faut bien que le Destin réponde. La caste au pouvoir connaît Chabi. Elle doit encore saisir qu'il exprime profondément ce nouvel élan tunisien. Elle doit y répondre avant que la Tunisie ne se mette à déclamer un autre poème de Chabi et ces vers à la tonalité bien moins apaisante : «Ô tyran oppresseur... Ami de la nuit, ennemi de la vie...». Ben Ali doit faire vite. |
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