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L'Algérie n'est pas la Tunisie. La Tunisie n'est pas
l'Algérie. Mais dans les deux pays, les régimes en place ont décidé de bannir
la politique et ont la prétention d'être à la fois le pouvoir et l'opposition.
Et d'exprimer mieux que quiconque les intérêts du pays et les aspirations de la
société. Dans une telle configuration où les mécanismes du changement sont totalement
neutralisés, il n'existe pas de place pour une contestation pacifique. Mais le
plus grave est que les pouvoirs eux-mêmes, après avoir banni la politique et
réduit les partis et syndicats officiels à l'état de croupions, finissent par
croire qu'ils ont l'assentiment total de la société.
Avec des pouvoirs élus avec des taux records, des partis politiques qui applaudissent à tout rompre, les tentatives des militants des droits de l'homme ou des syndicats autonomes d'exprimer autrement la réalité sont perçues comme des anomalies. Il est inévitable aujourd'hui qu'à Tunis comme à Alger, certains responsables se laissent aller à suggérer l'idée d'une manipulation ou d'une conspiration. Les régimes autoritaires finissent toujours par n'écouter qu'eux-mêmes et perdre le sens des réalités. Devant le déferlement des jeunes défavorisés en Algérie, on se prend même à souhaiter qu'il y ait «quelqu'un derrière» avec lequel le pouvoir pourrait parler pour stopper la casse et surtout limiter les dégâts humains. Il y a eu en quatre jours d'émeutes deux morts, selon des indications officielles. Ce sont deux morts de trop. Mais, hélas, le refus d'accepter que la société puisse s'organiser librement à travers des structures crédibles finit par se payer lourdement. D'abord, parce que les politiques publiques ne sont pas alimentées sérieusement par une information crédible sur les besoins et les attentes de la population. Ensuite, en l'absence de ces structures crédibles, l'Etat se retrouve à confier aux forces de sécurité la gestion de crises qui ne sont pas strictement sécuritaires mais politiques et économiques. Il y a sans doute des motivations économiques et sociales à la colère des jeunes Tunisiens et Algériens. Mais l'expression violente qu'elle prend, en Algérie surtout, est directement liée à la caporalisation générale du champ politique. Ceux qui, comme un responsable du RND, parlent d'un complot des affairistes et des grossistes qui auraient pris peur à la suite des mesures prises pour imposer la transparence, donnent dans la diversion. C'est la réponse pathologique classique des systèmes fermés. Les affairistes qui ne viennent pas du ciel et encore moins de l'étranger n'ont pas la capacité de provoquer un mouvement de contestation aussi important. Si tel est le cas, la raison et même les impératifs de la sécurité publique commandent de leur demander de s'organiser en parti et de devenir l'interlocuteur du pouvoir. Il y a bien sûr des affairistes, ils ne fréquentent pas les bidonvilles ou les quartiers populaires. On les retrouve plus souvent dans les clientèles du système, voire même dans les structures des partis. Cela tout le monde le sait. Faire semblant d'inventer une «force» organisée n'est pas sérieux. L'Algérie a connu un début de démocratisation après octobre 1988 avant de revenir à la gestion autoritaire à la faveur de la crise des années 90. Aujourd'hui, à moins de continuer à s'aveugler, cette gestion autoritaire, nettement plus efficace en Tunisie qu'ici, est totalement obsolète. Il est significatif que la LADDH appelle les associations et les partis existants à essayer d'encadrer le mouvement de contestation. Quand le dialogue social se résume à une confrontation entre un jeune de quartier et un jeune policier, cela donne une idée de la régression à laquelle la gestion autoritaire mène le pays. Il faut donc oser poser la question de fond, celle du changement démocratique. Démocratiser, sans occulter les problèmes qui ont été générés après l'ouverture d'octobre 88, n'est pas un luxe. Cela n'apporte pas une solution immédiate. Mais c'est bien l'option stratégique pour mettre le pays à l'abri des graves secousses qui le guettent. |
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