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Le jeune Mohamed Sakher El Materi est
devenu un acteur économique et? politique important en Tunisie. Qui est-il ?
Comment expliquer sa fulgurante ascension ?
Profil d'un jeune homme promis à un grand avenir? Un établissement bancaire, El Zitouna Bank; une compagnie d'assurances, El Zitouna Takaful ; une société de distribution de véhicules, Ennakl, possédant des participations dans Attijari Bank (2,27%) et Arab Tunisian leasing (10,67%) ; deux sociétés immobilières, les Hirondelles et le Marchand immobilier ; deux compagnies de services touristiques, Cruise Tours et Goulette Shipping Cruise ; une compagnie de consignation de navires, Goulette Shipping Services ; trois journaux, les quotidiens «Assabah» et «Le Temps» et l'hebdomadaire «Al Ousbouii» ; une radio, El Zitouna FM? Cette énumération des affaires florissantes dirigées par le Golden Boy tunisien Mohamed Fahd Sakher El Materi, n'est pas exhaustive : elle ne comprend pas ses récents investissements dans l'agroalimentaire et le dessalement de l'eau de mer. L'ascension de ce jeune homme d'à peine trente ans ne s'est pas faite dans la discrétion la plus totale. Elle s'est accompagnée d'une ascension aussi rapide au sein du monde politique officiel. Il est ainsi député du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), au pouvoir, et membre de son comité central. Sans parler de dignités subsidiaires comme, par exemple, la présidence du «Groupe d'amitié parlementaire tuniso-états-unien». De solides appuis politico-familiaux Sakher El Materi a «accompli en quelques années l'une des plus spectaculaires percées jamais effectuées dans le monde des affaires tunisien», écrit le journal économique «Espace Manager» (28 octobre 2010). Tout emphatiques qu'ils soient, ces propos paraissent euphémiques au regard de tant d'exploits. On retrouve leur ton admiratif dans d'autres journaux tunisiens lorsqu'ils évoquent le «parcours fulgurant» de cet homme. Comme il y a quelques années la presse algérienne à propos d'Abdel Moumen Khalifa, la presse en Tunisie, soumise au contrôle du gouvernement, ne s'interroge pas : comment, avec pour toute qualification un master en sciences de gestion, il a pu constituer un tel empire en moins de six ans? Un «vif esprit entrepreneurial» suffit-il pour qu'en une seule année, l'année 2009, on puisse créer une banque, El Zitouna (51% des actions), acquérir, grâce à une «OPA amicale» (pour citer les termes utilisés sur www.sakher-el-materi.com), 70% des actions du groupe de presse Al Sabah, devenir le distributeur de KIA pour toute la Tunisie et mettre un pied ferme dans le secteur agricole par la plantation de 1.300 hectares d'oliviers ? Une telle succes story est-elle concevable sans les faveurs complaisantes du plus haut sommet de l'Etat, dans un pays où la bourgeoisie fait preuve d'une dépendance totale vis-à-vis du régime ? Le plus probable est que comme Abdel Moumen Khalifa, son devancier sur le chemin de l'enrichissement rapide, Sakher El Materi n'ait fait cette «percée spectaculaire» sans de solides appuis politico-familiaux. Il est le gendre du président Zine El Abidine Ben Ali, et c'est aussi, vraisemblablement, grâce à cette alliance qu'il siège au comité central du RCD sans avoir jamais eu la moindre expérience politique. Patrimoine familial ou délit d'initié ? Né en 1980, Sakher El Materi est le fils de Moncef El Materi, un ex-officier de l'armée souvent présenté (Florence Beaugé, «Le Monde», 25 octobre 2009, par exemple) comme un camarade de promotion du président Ben Ali. Il n'est pas issu d'une famille anonyme du fin fond du Nord-ouest mais d'une famille citadine aisée, qui a fourni au mouvement national tunisien un de ses leaders, Mahmoud El Materi, premier président du Néo-Destour et ministre du Bey de Tunis. Rien, cependant, dans cette extraction bourgeoise ne laissait prédire son étoile montante. Pas même les affaires prospères de son père et de son oncle, notamment un laboratoire pharmaceutique (Adwiya). La presse économique maghrébine met souvent l'accent sur le rôle du patrimoine familial dans l'essor du holding de Sakher El Materi. Elle ne précise pas de quoi celui-ci était constitué, pas plus qu'elle n'explique le passage miraculeux d'Adwiya à Princesse El Materi, qui s'est vite avéré tentaculaire. Elle omet, surtout, la coïncidence temporelle presque parfaite entre son mariage, en 2004, avec une des filles du président et la création de son groupe. Une année après cette union, le futur milliardaire frappait un premier grand coup. En l'été 2005, grâce à un emprunt fait à la Banque du Sud, il a racheté à un établissement bancaire italien (la Banca Monte Dei Paschi Di Siena) ses participations (16,9%) dans cette même banque pour les revendre, plus tard, au consortium AndaluMaghreb (les groupes bancaires marocain Attijariwafa Bank et espagnol Banco Santander Central Hispano) qui avait acquis les parts de l'Etat dans son capital. Au commencement fut? la spéculation L'opération, banalement spéculative, est dénoncée par la presse d'opposition (le journal électronique Nawaat, etc.) comme le fruit d'un authentique délit d'initié. Son montant a été estimé par le journal d'investigation français «Bakchich» (10 octobre 2006) à 17 millions d'euros. Ce chiffre n'est pas invraisemblable. Selon des articles de presse parus à l'époque, AndaluMaghreb a acquis les parts de l'Etat tunisien dans la Banque du Sud, 33,5% (le double de celles de Sakher El Materi), pour un peu plus que le double de cette somme, soit 37 millions d'euros au cours approximatif de la monnaie tunisienne en 2005 (60 millions dinars). La plus-value dégagée par cette transaction a permis à Sakher El Materi l'acquisition, en 2006, d'autres actifs publics, sur lesquels il assoira son holding. Il s'agit de la société Ennakl, distributeur automobile étatique privatisé à son bénéfice exclusif. Cotée à la Bourse de Tunis et à celle de Casablanca, Ennakl réalise une partie substantielle de son chiffre d'affaires grâce aux commandes de l'administration tunisienne. Elle paraît avoir été la rampe de lancement d'autres grands projets. Deux des projets les plus récents de Sakher El Materi sont d'ordre industriel. Le premier est la construction d'une unité de conditionnement et de mise en bouteille de l'huile d'olive produite par les oliveraies du groupe. Le second est l'exploitation et la maintenance, en partenariat avec Befesa Agua, d'une station de dessalement d'eau de mer (dans l'île de Djerba) dont la construction a échu, en juillet 2010, à cette firme espagnole (un investissement de 70 millions d'euros). On peut s'étonner que la gestion de cette station soit du ressort d'un consortium comprenant un holding, Princesse El Materi, n'ayant aucune expérience dans le domaine industriel. Mais faut-il s'en étonner lorsqu'on sait que ce sont la Société nationale des eaux (SONEDE), un établissement étatique non autonome, et le ministère tunisien de l'Agriculture et des Ressources hydrauliques qui ont procédé à l'attribution de ce marché ? Il n'est d'ailleurs pas exclu que les tarifs de l'eau soient relevés afin de rendre rentable l'exploitation de cette station. En effet, Befesa Agua a estimé les revenus de la concession, en 20 ans, à 417 millions de dinars (220 millions d'euros), soit 20,9 millions de dinars (11 millions d'euros) par an. Pour atteindre ce niveau de revenus, et à moins que l'Etat ne la subventionne, l'eau produite devra être cédée durant deux dizaines d'années à 1,14 dinar (0,6 euros) le m3 en moyenne, un tarif bien plus élevé que ceux actuellement appliqués (entre 0,145 dinar/m3 et 0,89 dinar/m3) ! Phraséologie islamisante Sakher El Materi n'hésite pas à draper ses investissements dans le manteau de la religion. Beaucoup de ses entreprises s'appellent «El Zitouna» (l'olivier), nom d'une des plus anciennes mosquées du Maghreb (située dans la casbah de Tunis) mais, surtout, d'un arbre que le Coran qualifie de «béni», comme se charge de nous le rappeler un verset occupant le bandeau de la page d'accueil d'El Zitouna FM. Le virage islamisant de Sakher El Materi peut être daté de la fondation de cette radio à l'utilité sociale plutôt contestable, en ce sens que dédiée «à la récitation du Coran et à l'explication de ses nobles finalités» (www.sakher-el-materi.com), ses contenus non religieux se résument à un programme de santé publique et à un autre, destiné aux enfants. Ce virage s'est affirmé avec la fondation de la banque El Zitouna «spécialisée dans la finance islamique», dont le slogan publicitaire est aussi un extrait de verset coranique, «Li yatm'inna qalbi» (afin que mon cœur se rassure). Il s'est récemment prolongé par la création d'El Zitouna Takafoul, une «compagnie d'assurances islamique» agréée depuis janvier 2010. Il n'est pas sans signification que le lancement de la banque El Zitouna ait été salué par la presse tunisienne officielle et semi-officielle, d'ordinaire si prompte à dénoncer «l'instrumentalisation de la religion à des fins inavouées». Dans une dépêche datée du 27 mai 2010, l'agence gouvernementale Tunisie Afrique Presse (TAP) a même emprunté aux islamistes leur enthousiasme pour la finance islamique en affirmant que «les études ont démontré la solidité des banques islamiques et leur résistance aux impacts de chocs comme la récente crise financière et économique internationale». L'islam au service des affaires? et du régime La phraséologie islamisante de Sakher El Materi a de quoi surprendre dans une Tunisie où la tradition laïcisante bourguibienne demeure prégnante et qui, en septembre 2006, n'a pas hésité à interdire la commercialisation d'une poupée dite «islamique» ! Elle semble être une tentative d'épouser la vague de religiosité qui déferle sur l'ensemble du Maghreb. On ne peut, cependant, oublier qu'elle est survenue dans un contexte d'islamisation rampante du régime tunisien, qui espère lutter contre les courants religieux radicaux en occupant leur terrain. Pour le politologue Larbi Chouika («Journal du dimanche», 24 octobre 2009) l'islamisation du régime tunisien ne fait que le mettre au diapason d'une «tendance lourde des autorités de la région à se réapproprier le message de l'islam». Jeune dirigeant du RCD, Sakhr El Materi est plus à même que le déclinant chef de l'Etat - qui a un lourd passif de répression anti-islamiste - d'incarner une nouvelle idéologie étatique conservatrice, en rupture avec le bourguibisme. Serait-ce là le signe qu'il est le successeur désigné de son beau-père ? Probablement, mais pas dans l'immédiat. Ne l'a-t-il pas lui-même exhorté, le 18 septembre dernier, à se porter candidat à un énième mandat à la tête de la Tunisie ? |
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