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Cette histoire n'en finit pas d'être exemplaire et il faut
y revenir : celle des danseurs du Ballet national algérien qui ont choisi de
rester au Canada, où ils ont été invités à donner un ballet à l'occasion du 1er
Novembre. A lire les comptes rendus de presse et les premiers témoignages
récoltés sur ce qui s'est réellement passé, on reste effaré, ému, révolté, et
finalement, on se sent interpellé.
Le langage employé par certains officiels là-bas pour faire changer d'avis les « harraga » a d'abord été celui du charme alimentaire (vous reviendrez au Canada quand vous le voulez), puis celui de la menace (on vous ramènera même menottés). Du coup, on comprend de quoi il s'agit : un langage de geôlier face à un détenu qui a atteint la colline de sa liberté par le tunnel de sa patience. Certains officiels se sont comportés comme de véritables gardiens de prison, outrés par l'insolence de quelques détenus aventureux, et le pire est qu'ils n'ont même pas conscience d'avoir le mauvais rôle. La surdité entre les danseurs révoltés et les officiels est totale : les uns n'arrivent pas à expliquer pourquoi ils veulent vivre dans un pays où le corps est une liberté et pas une honte et les autres fonctionnent sur le mode de l'intérêt national, de l'image du pays, du nationalisme qui ne se mange plus et de la menace, premier réflexe d'un régime lorsqu'il croit que le peuple est son bétail, pas son partenaire. On peut titrer : « Ils n'ont rien compris » à propos de ceux qui gouvernent ce pays et de leurs supplétifs : contre l'immigration clandestine, ils proposent encore et toujours des locaux commerciaux et pas le sens, la mangeoire et pas le bonheur. Erreur de génération, de « niveau », de culture et d'optique. Le Pouvoir algérien est un homme qui est connu pour sa susceptibilité légendaire quant à son image. Dans les cas de ces fugueurs, il est en colère parce que cela touche son image. Un chroniqueur collègue a bien trouvé la formule d'ailleurs : le Pouvoir rage à cause des effets de cette affaire, pas à cause de ses causes. Cependant, il faut aussi souligner l'autre erreur : certains, beaucoup ont qualifié ces danseurs de harraga. Grave erreur pour une fois : il faut parler plutôt de dissidence. Les danseurs ont réussi à incarner la première dissidence qui va s'enclencher pour échapper à ce qui s'installe et ce qui déjà installé dans ce pays : la talibanisation horizontale, l'intolérance, le déni, la chasse à la différence religieuse et de confession, au vêtement. Une danseuse racontera aux journalistes comment elle est traitée dans son quartier : « reggassa », c'est-à-dire presque prostituée. Cela vient de la bouche d'un pays qui ne sait plus concevoir la joie, l'autre, le rire et la fête qu'avec l'égorgement d'un mouton. Et si ces danseurs ont eut les mots hogra et harga dans la bouche, il ne faut pas se tromper : ils incarnent bel et bien une dissidence, un mouvement de fuite vers la vie. Cela n'a rien à avoir avec le nationalisme, tellement et si bien qu'on a envie de soutenir ces gens-là, de leur demander de poursuivre leur rêve. De ne revenir que lorsque les fils de ministres boursiers de l'Etat reviendront eux aussi. Tous et même le dernier qui a été le seul boursier de cette année car fils d'un grand ministre inamovible. Car, on ne comprend pas pourquoi cela est haram pour un danseur que de fuir et hallal pour un fils de ministre que de poursuivre ses études à Londres, pendant que son père exige des Canadiens qu'ils refusent la demande d'asile des premiers. Il ne s'agit pas, cependant, d'encourager les gens à partir ni de jeter la pierre à ceux qui l'ont fait. Il s'agit seulement de rappeler que chacun est libre : celui qui trouve son héroïsme dans son refus de l'exil et celui qui puise dans son courage pour s'exiler si loin. Au fond, c'est une question de liberté et c'est pourquoi la réaction des officiels algériens au Canada à cette affaire est scandaleuse, outrancière, insultante : ce n'est pas celle d'une partie qui cherche à comprendre ou à solutionner, mais celle d'un adversaire qui cherche à rapatrier quelques évadés, menacer des révoltés et colmater une brèche qui laisse entrevoir ce que les gens fuient, pas ce qu'ils veulent atteindre. Dans son ridicule repentir, le Pouvoir a fini par avoir le faciès d'un totalitarisme religieux rampant : en voici donc les premier dissidents. |
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