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MENA sans nous

par Kamel Daoud

Qu'est-ce que l'Algérie aux yeux des spécialistes politiques et médiatiques anglo-saxons ? La question se pose car la tendance nationale est de considérer généralement le point de vue occidental sous le prisme du point de vue français uniquement. La France a décolonisé la terre mais pas la vitrine : il suffit de faire un tour aux Etats-Unis par exemple, ou dans le reste des pays du monde, pour voir que l'on ne parle de l'Algérie que par ce que racontent, retiennent, filtrent et commentent la presse française et ses «observateurs» et son opinion dite autorisée à décrire les néo-colonies.

 D'où cette étrange image de soi, appauvrie, réductrice, peu variée, que l'on vous présente lorsqu'on vous parle de votre pays quand vous êtes dans le vrai Occident de l'Occident : les pays anglo-saxons. Pour le catalogue donc, et en dehors de quelques petites particularités dues au marché des hydrocarbures et à l'expérience antiterroriste ou au Sahel, l'Algérie reste «confondue», aux yeux des Américains et des Anglais ou des Américo-Latins, dans une sorte de cartographie «arabe» dont la capitale est Le Caire et dont la zone la plus visible est le Liban, la Jordanie, l'Irak et la Syrie. Cela s'appelle, pour le catalogue, la zone MENA. Décrypter : Middle East and North Africa (dans l'ordre de visibilité).

 Le Maghreb, réduit à la mission de Baker dans le Sahara Occidental, y est présent comme une annexe d'une aire «arabe», et l'Algérie, malgré les chaleurs épistolaires, y est l'annexe de l'annexe. Une sorte de pays connu par son ambassade qui a été victime d'un incendie à Washington, par son marché gazier, ses «services» coopérants et sa crise des années 90 et ses élections douteuses. En dehors donc de ces «certitudes», l'Algérie comme pays, culture distincte des danses du ventre, comme langue et «maghrébinité», y est absente. A peine le statut d'une daïra de l'empire de la diplomatie internationale cairote et son arnaque de représentativité des Arabes et de leurs causes.

 Les nouveaux diplomates anglo-saxons sont les premiers surpris, quand ils débarquent à Alger (où ils sortent rarement d'ailleurs) et y découvrent un pays qui ne parle nulle part la «fous'ha», la langue arabe classique et où il n'y pas de pyramides.

 La faute revient bien sûr au barrage linguistique (fonds de commerce de la diplomatie culturelle et politique du Moyen-Orient) : l'Algérie ne parle pas anglais et ne peut exporter son image et ses avis. La faute est due à une sorte de mollesse culturelle de notre diplomatie qui croit conquérir l'univers avec «une année de l'Algérie en France», comme si la France existait encore comme centre du monde.

 La faute revient aussi à notre accommodement «baathiste» à déléguer au Moyen et Proche-Orient la mission de nous représenter en nous effaçant, et de nous intégrer dans son aire au nom d'une communauté identitaire fantasmatique.

 A terme, deux malentendus : nous persistons à croire que l'Occident c'est la France et l'Occident persiste à croire que l'Algérie est une daïra arabe ou une ancienne colonie française. Personne de chez nous n'ose protester contre ce statut de seconde épouse de la diplomatie égyptienne en direction du monde anglo-saxon, ni s'élever contre ce déni géographique du Maghreb et de l'Algérie, son effacement dans le périphérique culturel des «Arabes» de souche et notre réduction à une seconde zone.

 Pourquoi Middle East and North Africa ? Pourquoi pas le Maghreb ? D'ailleurs, pourquoi dire Maghreb en révérence à un Machrek ? Cette image simpliste qui tente de nous caser dans le rôle d'une arabité de fait est à revoir. D'abord à nos propres yeux, avant de l'exporter aux yeux des autres. Le monde est anglo-saxon et là, l'Algérie y est à peine discernable d'un bas quartier du Caire. A revoir. Absolument et très vite.