Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Parlons Suédois

par Ahmed Saifi Benziane

Un excellent documen-taire passé sur une chaine culturelle faisait état du fonctionnement du gouvernement suédois.

Il était presque amusant et futuriste si l'on considère l'image que l'on se fait de ce pays européen, monarchiste constitutionnel, démocratique, développé bien sûr, sans compter la réputation de ses femmes, belles, blondes, grandes de taille et libre sexuellement.

 Un petit rêve refoulé par les hommes du pays qui est le nôtre. En masse, de haut en bas, et de droite à gauche. Le rêve aussi de nos gouvernants qui auraient aimé nous troquer à un contre cent avec ce peuple des mers, voyageur et conquérant. Ce qui est frappant c'est que dans ce petit grand pays sans désert, sans oasis, sans arabes, sans touareg, ni kabyles mais avec beaucoup de citoyens, le Ministère des Affaires Etrangères fonctionne avec une quinzaine de personnes hébergées dans presque un appartement où la Ministre, car c'est une femme, fait son café toute seule et se sert avant de regagner son bureau qui servirait à peine à une secrétaire dactylographe chez nous. Pourtant on ne peut pas dire que nous avons une meilleure ni plus efficace diplomatie que celle des vikings. Le documentaire nous invite ensuite à visiter la cantine des Ministres avec un self service et une petite salle pour recevoir des invités de marque ou des délégations étrangères.

 C'est une petite salle qui permet au gouvernement de se réunir tous les midis pour coordonner ses actions en mangeant. Les Ministres se déplacent à pied à partir de et vers leurs bureaux ou alors en voiture avec chauffeur, pour aller plus loin sans gardes du corps. Théoriquement et selon notre conception du pouvoir la Suède devrait être sous-développées.

 Les suédois ont donc un secret caché quelque part. En réalité, il n'y a pas de secret dans un pays où rappelons-nous, un Premier Ministre avait été assassiné sous les yeux de son épouse à la sortie d'une salle cinéma, il y déjà nombre d'années. Mais poursuivant le déroulement du documentaire on voit une journaliste demander les notes de frais de notre Ministre des Affaires Etrangères (celle de Suède) à la réception et vérifier si les normes de dépenses n'ont pas été dépassées. Les documents sont mis à sa disposition et elle prend tout son temps pour faire ses calculs sous l'œil amusé d'un agent d'accueil, le seul d'ailleurs dans tout le Ministère. Et c'est précisément là que réside ce secret qui nous étonne, qu'un petit pays soit devenu aussi grand sans le désert, ni les oasis, ni les arabes, ni les touaregs, ni même les kabyles. Avec seulement des citoyens qui se respectent par-delà les droits et les devoirs de chacun et des gouvernants qui ne se goinfrent pas de gros budget pour paraître Ministres. Et une presse libre et réellement indépendante sans être obligée de mendier la publicité qui fait réellement vivre les journaux ou les tuer. Fin du documentaire qui constitue la meilleure illustration d'une démocratie et l'image d'un Etat, qui fait faire des économies à sa population en comptant sur l'intelligence et le savoir-faire politique et non pas sur l'argent du contribuable. Revenons à nos moutons. Nos gouvernants ne pourront jamais paraître Ministres, sans sirènes, sans gardes du corps, sans cortèges de véhicules luxueux, sans grands bureaux chichement meublés, sans une armée de bureaucrates qui sait dire oui avant que la question ne soit posée, sans bouquets de fleurs, sans rubans à couper, sans une presse qui applaudit par ses unes avant la fin des discours, sans l'ENTV, sans Club des Pins.

 Sans les costumes. Il n'est pas inscrit dans notre culture qu'un Ministre aille voir un film avec son épouse ou qu'une Ministre avec son époux ou même seuls. Pourtant ils sont tous mariés. Presque tous. Il n'est pas non plus inscrit qu'une journaliste aille demander les notes de frais d'un grand chef au motif que seule l'IGF ou la Cour des comptent détiennent ce privilège. Et quand le Ministre de la communication parle de l'éthique professionnelle et de la responsabilité des journaux, on est en droit de lui demander où sont celles de l'Etat auquel il appartient. Comment en effet soumettre la source financière des organes de presse qu'est la publicité à une circulaire qui régit et régente selon le degré d'adhésion à la politique gouvernementale et obtenir une liberté d'expression au point de faire de certains titres de simples stencils ? Cette situation a permis l'apparition d'une centaine de titres alimentés pour la plupart par une mamelle circulaire, dans le seul but d'étouffer la vérité. Le secret suédois réside justement dans cette liberté d'informer à l'appui de constats réels, une opinion qui ne demande qu'à en savoir plus sur l'Etat de la société.

 C'est en fait le secret de toute démocratie. Et si nos gouvernants voudraient bien nous troquer contre le peuple du royaume de Suède, l'envie de les troquer à notre tour avec les gouvernants de ce peuple ne nous manquera certainement pas. Il suffit juste que nous apprenions le suédois, que nos harragas se transforment en conquérants, que notre désert s'humidifie, que nos arabes, nos touareg et nos kabyles se transforment en citoyens.

 Que nos journaux soient libres et que nos journalistes aient accès aux notes de frais des Ministres. Que le parlement soit?que l'armée soit?que les services de sécurité soient?que la justice soit? et surtout que l'Algérie soit enfin. Juste cela.