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En mars 2002,
douze créateurs de l'Ouest font une Taoussa pour honorer l'Art. Une exposition
collective est organisée dans les locaux du Centre culturel français.
L'Ambassadeur de France de l'époque terminait la préface de leur catalogue, édité chez Barzakh, par ces mots « un groupe dont on se souviendra qu'il s'est constitué puis présenté au public un certain mars 2002 » et l'introduction de M. Brahim Hadj Slimane concluait : « qu'aujourd'hui, il faut pourtant semer les grains pour les récoltes de demain ». J'ai eu le bonheur de visiter l'exposition et aujourd'hui, non seulement, je m'en souviens, mais j'en récolte une histoire écrite par douze apôtres du beau et que je vous livre ci-après. La Medina réveillée par le dard encore balbutiant du soleil, émerge d'un nuage ocre que Arzazi a chargé de toutes ses interrogations. Le nuage tombe en silence abandonnant le doute à sa nudité. Mais Belhachemi lui offre aussitôt un bouquet d'émotions menacé par une brise bien téméraire qui peine à imiter la bourrasque. La limpidité des formes n'est dérangée que par un tourbillon inattendu de couleurs qui se frôlent puis se séparent pour mieux supporter le regard cyclope du spectre dressé par Belkhorissat au milieu d'une tête hérissée par la peur de sa propre haine. Un bouillon de violences sans racines est difficilement contenu par des lettres enchevêtrées dans une posture incantatoire. Des lieux qui se révoltent contre une mémoire paresseuse et tombent du nuage de l'oubli pour étaler fièrement une splendeur défraîchie. Des êtres qui se dressent sur le socle bleuté de leur identité et annoncent leur retour dans la dignité mais sans triomphe superflu. Chender les accueille avec des couleurs timides et transparentes comme les voiles qui protègent une réalité pudique mais qui suggèrent aussi toute sa légende. Des voiles retiennent le regard et le forcent à deviner les contours généreux d'une intimité féconde. Une intimité vite perturbée par un tourbillon de couleurs que Cherif tente de chevaucher pour rejoindre les muses. Les flocons du cumulus décomposé tentent vainement de se regrouper accélérant la danse du bleu verdoyant autour d'un noyau rouge qui s'évanouit dans des traces brunes et oranges. Elles ont toutefois le temps d'indiquer la voie aux bribes de souvenirs que Djeffal a arrachées à un corps trapu dégageant une puissance aphone qui s'incruste dans un décor à la tristesse contenue. Les lieux sont vite envahis par des sons bigarrés que tissent des mains expertes mais invisibles. Juste à proximité une buée blanche et ocre exacerbe le mystère des silhouettes étouffées par leur imagination mais tournant le dos à la lumière. Les portes de la ville leur sont ouvertes par Hamidi en vain. La ville étale les rectitudes de son urbanité et en tire une beauté fluorescente qui décuple son envergure dans le reflet de ses artères. Mais cette invite et démentie par un totem disloqué dont le regard oblique jure avec toute convention. Des couleurs sans fard provoquant une émotion vive qui se délite en une indicible inquiétude et brouille tout sentiment. Cette perplexité Mahboub en joue pour accroître la tension d'une peau diaphane qui n'a besoin d'aucun atour pour laisser découvrir tout son raffinement. Le teint charmeur d'une femme qui, assise, est fine et élancée comme elle ne saurait jamais le paraître, debout. La finesse marque aussi un paysage naïf qui raconte une nature qui ne veut connaître des hommes que leur instinct terrien. La terre est bleue, d'un bleu que Ouaddah décline dans tous les tons sans arriver à décrisper une ambiance mélancolique. L'ouïe aux aguets, les confidentes debout sont aussi tristes que leurs amies recroquevillées sur le lit de la confession. Mais l'histoire de ces femmes éplorées diffère-t-elle de celles que racontaient leurs ancêtres aux puissants de leur époque ? aussi avides qu'elles d'une tristesse qui les change de leur félicité quotidienne. Une félicité qui s'écoule sans relief dans une demeure aux arcs triomphants, protégeant le lit à baldaquin où dormait un bonheur solitaire. Le bonheur, Oulhaci le conjugue en tous genres. La femme, la montagne et même le mirage étalent leurs formes charnues et généreuses comme pour enfermer dans les plis de leur corpulence le souffle de la vie. La montagne laisse pousser son pic acéré vers un ciel balayé par un vent de sable ocre comme pour marquer sa prétention à la plénitude ; et la femme sortant de sa sieste déroule une longue chevelure qui redonne à son corps lourd une émouvante féminité. La montagne inspire aussi Souadji qui la dilue dans un paysage lunaire fixé par des arbres squelettiques que balaie un vent violent qui semble chasser toute vie, et pourtant, l'homme n'est pas loin, le combat des couleurs le laisse deviner. Cette seule éventualité redonne au bouillonnement muet des éléments un intérêt et bouleverse le regard qui consent à s'attarder un moment. Des couleurs plus tendres échappent à la houle pour nous rappeler que l'amertume fait partie de la vie. Elle en bariole ses couleurs; Zerhouni l'a bien compris. Hiver comme Eté les soirées méditerranéennes s'offrent à la narration de la palette qui libère l'imagination et enjolive la vie. Les nuits sont bleues comme l'horizon et quand le rouge s'en mêle ce n'est qu'un présage de vent. La trêve est l'affaire de Morphée qui se dédouble en divinités hermaphrodites mariant force et sensualité. Des visages bleutés, eux aussi, veillent sentencieusement sur la volupté qui se prélasse en lévitation sur un lit informe comme le monde. Un monde qui arrive encore à mettre en émoi les douze apôtres du beau qui nous livrent leurs couleurs à la criée sur la jetée d'un port imaginaire. Un monde travaillé par ses incertitudes mais qui ne peut se départir de sa naïveté. Un monde en bataille entre son moi et le besoin de l'autre. Un monde qui résiste au regard froid et ne se livre que quand la tendresse le trahit. Ah ! si le monde pouvait mettre autant d'enthousiasme dans l'exploration de ses énergies culturelles que dans ses conquêtes matérielles ! |
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