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quelle place pour l'entreprenariat féminin en algérie ?

par Abderrahmane Mebtoul *

La faculté des Sciences économiques, des Sciences de gestion et des Sciences commerciales et des Sciences économiques de l'Université d'Oran a fait soutenir un mémoire de magister très intéressant de Mlle Aïcha Dif le 3 novembre 2010, sous la direction du professeur Ahmed Bouyacoub sur l'entreprenariat féminin, et que j'ai eu l'honneur de présider.

Je livre pour les lecteurs du Quotidien d'Oran quelques axes directeurs sur un sujet capital qui engage l'avenir l'Algérie, tout en recommandant un autre travail de recherche sur ce même thème qui m'a fortement inspiré de Zoubida Haddad, qui a consacré de nombreuses analyses à ce sujet.

 L'analyse de l'entreprenariat féminin est intiment liée à l'analyse du marché du travail et du salariat d'une manière générale et de la place de la femme au sein de la société. Si le travail est au cœur de la construction de la société, il est particulièrement au centre de la consolidation de l'autonomie de l'individu, notamment de la promotion de la situation de la femme en tant que personne et en tant que citoyen. Intégrer la femme dans le monde du travail implique un cadre adapté également aux coutumes.

I - PROBLEMATIQUE THEORIQUE

Les différentes recherches en sciences sociales affirment souvent que le développement d'une société se mesure au degré d'implication de ses femmes. L'émergence des femmes dans l'espace social et politique, la question de l'entreprenariat féminin devrait être posée dans le cadre de la problématique du développement et de la transformation générale de la société, étant au sein du carrefour de la pluridisciplinarité entre la psychologie et la sociologie du travail. Dans la recherche universitaire, cette question de la valeur émancipatrice du travail, il existe quatre visions, comme le montrent à la fois Zoudida Haddad et Aïcha Dif dans leurs travaux de recherches.

 1- La première thèse, liée à la problématique du développement, est celle qui considère que l'arrivée dans le monde du travail des premiers contingents de femmes est le point de départ d'un mouvement évolutif et irréversible qui ne peut que changer la conscience qu'ont les femmes d'elles-mêmes, celles qui travaillent comme celles qui ne travaillent pas, et constitue un atout majeur dans la conquête de l'espace social et politique. Selon cette thèse, ce sont les femmes qui travaillent, quelle que soit la nature de l'activité exercée, qui s'intéressent le plus à la vie sociale et politique, qui votent davantage et de manière plus autonome. C'est parmi elles aussi que l'on trouve le pourcentage le plus élevé de femmes satisfaites, le revenu, essentiellement salarial des femmes, la scolarisation massive des filles constituant des facteurs de changement dans les rapports de sexe dans une société qui n'avait connu que le travail des paysannes.

 2 - La deuxième version s'appuie sur une critique des catégories utilisées par l'Office national des statistiques, conteste d'abord la progression du travail féminin, remettant en cause dans ses travaux la thèse du travail émancipateur à partir d'une analyse théorique globale des rapports entre travail salarié et procès de travail domestique. Selon cette approche, le projet étatique de développement et de mobilisation de la société des années 70 a, de fait sinon délibérément, exclu les femmes en les affectant en priorité à un procès de travail domestique issu de la destruction des anciennes formes de production et de la séparation entre l'espace de production et de reproduction. Le modèle d'industrialisation mis en place en Algérie se traduit inévitablement par une très faible salarisation des femmes, circonscrite aux grandes villes.

 Ainsi, «L'expulsion des femmes du système productif se complète à l'intérieur de ce dernier par une tendance les éloignant de la production». Ou encore : «la tendance la plus manifeste est leur expulsion pure et simple de la production, de l'emploi et plus globalement du champ social». La conclusion est que l'emploi féminin, «dérisoire et marginal», a encore un autre effet négatif : il introduit une scission entre la minorité qui travaille et la majorité des femmes au foyer vouées aux rôles traditionnels dont les normes patriarcales se trouveraient renforcées.

 3 - La troisième vision, à partir d'enquêtes au niveau des entreprise publiques, est que le «travail libérateur» de la femme serait un mythe, ne relevant pas d'une décision individuelle mais d'un projet de groupe et que l'enfermement à l'usine est le strict équivalent de l'enfermement à la maison. Cette vision conteste que le travail puisse être un facteur de libération, ni même de changement, du fait que la fonction proprement socioéconomique du salaire féminin est subvertie et réintégrée dans une logique symbolique propre à la société traditionnelle, la possibilité d'indépendance économique étant neutralisée par la logique de la domination.

 4 - La quatrième vision, plus récente et, me semble-t-il, plus réaliste, essaie de réaliser une synthèse ente ces différentes approches intégrant les analyses psychosociologues et la dualité de la société algérienne formel/informel. L'arrivée des femmes dans le monde du travail, limitée mais non marginale, a produit un mouvement irréversible d'aspiration au travail, à l'activité rémunérée et à ce qu'elle implique, c'est-à-dire une forme ou une autre d'autonomie, encore qu'existent des résistances au changement . Ce mouvement, du fait des nouvelles orientations économiques et du désengagement de l'Etat, a donné naissance à un développement sans précédent du travail informel qui prend des formes très variées, concernant un nombre de femmes beaucoup plus important que celui des travailleuses déclarées. Toutes sortes d'activités, exercées en auto-emploi, se développent et sont appelées à se développer.

 Dans cette perspective, le travail salarié a produit des effets sociaux et culturels profonds et irréversibles. Ils remettent en cause la problématique d'une sorte d'inertie des pratiques et des représentations dans le monde des femmes dans son ensemble, mettant en valeur qu'avec la scolarisation massive des filles, le travail est le paramètre essentiel du changement et ce changement a des retombées sur celles qui ne travaillent pas. Encore que cette approche met en relief que le savoir social que ces femmes acquièrent et les multiples manières dont elles l'utilisent en le combinant à des matériaux puisés dans le patrimoine culturel pour construire une image de soi valorisante à la fois comme femme et comme travailleuse, peuvent se trouver en butte à des manifestations de réprobation du fait de résistances socioculturelles. Encore que, selon cette approche, avec l'évolution de la famille algérienne qui ne vit pas en vase clos mais influencée par des facteurs d'environnement local et international (télévision, Internet?), il faille éviter le stéréotype selon lequel la famille, lieu de la tradition, emprisonne les individus et constitue toujours un frein à l'autonomie et au changement, une famille pouvant pousser ses membres féminins au changement parce qu'elle en tire des profits matériels et symboliques. A l'inverse, comme le montrent Haddad et Dif, une femme qui fait des choix individuels en affrontant sa famille, ne s'en détache pas pour autant, ce qui signifie bien entendu qu'il ne peut y avoir d'un côté tradition et de l'autre innovation. Ces recherches mettent aussi en valeur la connivence mères-filles pour contrer une décision ou en faire valoir une autre, tout un ensemble de stratégies qui relèvent de ce que certains sociologues qualifient de «féminisme informel».

II - ENQUETES SUR LE TRAVAIL ET L'ENTREPRENARIAT FEMININ

- Premier constat : La violence contre les femmes a pris des proportions alarmantes ces dernières années. Le phénomène touche de plus en plus de femmes qui, souvent, sont victimes de violences commises par le mari, le père, le frère ou même l'enfant. Le réseau «Wassila», qui s'intéresse de près à ces actes «condamnables», a élaboré une enquête dans laquelle il est clairement mentionné que «70% des violences sont commises au sein de la famille algérienne, que 40% des 4.500 autres appels recensés demandent une aide psychologique et 30% formulent des demandes liées aux aspects juridiques comme le divorce et la reconnaissance de la paternité».

 Rappelons que le 17 décembre 1999, par sa résolution 54/134, l'Assemblée générale a proclamé le 25 novembre «Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes» et a invité les gouvernements, les organisations internationales et les organisations non gouvernementales à organiser ce jour-là des activités conçues pour sensibiliser l'opinion au problème.

- Deuxième constat : Seules 5% des femmes qui travaillent en Algérie occupent des postes de responsabilité et il existe 6.000 femmes d'affaires dans le bilan d'octobre 2008. Deux enquêtes récentes intéressantes mettent en relief la problématique du sujet.

A - Première enquête réalisée sur l'emploi féminin en Algérie en 2007/2008 par le site Emploitic.com

Echantillon : 1.000 femmes, dont 63% sont âgées de 25-34 ans, 22% de 18-24 ans, 14% de 35-49 ans, et 1% des femmes ont plus de 50 ans. Situation familiale : 75% des femmes ayant un emploi sont célibataires, contre 25% qui sont mariées. Lieu d'habitation : 72% des femmes bénéficiant d'un emploi résident au centre d'Alger, 14% viennent de la région Est, 11% de la région Ouest et 3% de la région Sud. Niveau d'études : les femmes ciblées par le sondage sont instruites et diplômées. Plus de 39% des femmes ont un bac +5 et plus de 37% ont un bac +4.

 Niveau d'expérience : Leur niveau d'expérience varie selon la nature du métier exercé. 34% des femmes ont une expérience professionnelle concluante. En parallèle, on retrouve les débutantes jeunes diplômées avec une à deux années d'expérience.

 Femmes et recherche d'emploi : Sur le marché de l'emploi, de plus en plus de femmes diplômées et expérimentées sont à la recherche d'un emploi comprenant des avantages et perspectives d'évolution professionnelle. 20% des femmes sont en poste, 44% sont en poste et à la recherche d'un emploi avec de meilleures conditions de travail.

 Recherche d'emploi et difficultés : Durant la recherche d'un emploi, de plus en plus de femmes sont confrontées à de multiples difficultés d'ordre social (discrimination) et professionnel (manque d'évolution). Plus de 55% estiment que les perspectives d'évolution au sein de leur entreprise exigent un certain niveau de compétences, 14% estiment qu'il n'y a pas d'évolution et 25% estiment qu'elles ont droit aux mêmes opportunités d'évolution que les hommes.

 Il est à noter que 72% des femmes interrogées ne sont pas satisfaites des conditions de travail dans lesquelles elles évoluent, ce qui explique le fort taux de femmes en poste et à la recherche d'un emploi. En effet, les difficultés qui entravent l'évolution des carrières professionnelles des femmes sont en relation avec la discrimination dans l'attribution des promotions, 39% estiment que leur niveau de formation et de perfectionnement entrave leur évolution, 32% d'entre elles estiment que les difficultés sont orientées vers la conciliation entre la vie de famille, la maternité et la société.

 Outre les difficultés citées ci-dessus, il existe plusieurs types de discriminations pour des questions d'apparence physique : 22% des femmes estiment que lors de leur recherche, elles ont été confrontées à ce genre de discrimination, 14% de discrimination par rapport à l'âge, 40% de discrimination dans l'attribution des promotions et refus d'accès aux postes de responsabilités. 55% estiment qu'il y a une différence dans l'attribution des salaires entre les hommes et les femmes. Critères pour choisir le futur employeur : Dans leur recherche d'emploi, les femmes suivent des critères de sélection : 34% des femmes prennent en compte le nom, le type et le secteur de l'entreprise, 30% selon la stabilité, la charge de travail et les possibilités d'évolution et de formation, 19% selon le salaire et les avantages sociaux proposés, et 13% prennent en compte la distance par rapport au lieu de travail et le transport.

 Tailles et types d'entreprises préférées : Il y a également les critères de taille et de type d'entreprises qui constituent un élément important dans la sélection du poste de leur choix. Plus de 44% des femmes souhaiteraient travailler dans des entreprises multinationales pour les conditions de travail et le salaire avantageux. 28% préfèrent travailler dans les grandes entreprises algériennes, 24% dans des entreprises et administrations publiques, et seulement 2% s'intéressent aux offres d'emploi au niveau des Petites et moyennes entreprises. Les métiers qui intéressent les femmes : De plus en plus de femmes diplômées et expérimentées souhaiteraient occuper des postes à responsabilité. 31% des femmes souhaiteraient occuper des postes de gestion et de management. 20% préfèrent des postes de création et de marketing afin de faire connaître leurs idées. 13% souhaiteraient faire carrière dans le domaine des finances et la comptabilité. 7% des femmes s'intéressent aux métiers du BTP, métiers dédiés entièrement aux hommes.

 Cette enquête rejoint celle réalisée en 2009 par l'Association des femmes cadres algériennes (Afcare) et l'Association des managers et entrepreneurs (AME), en collaboration avec l'Agence de coopération technique allemande GTZ, faisant suite à la Conférence mondiale des femmes chefs d'entreprise de Bruxelles en octobre 2008. Il est à noter que l'emploi féminin connaît une «restructuration au profit de l'entrepreneuriat» depuis 2000. A partir de 2003, il est constaté une baisse de la part du nombre de salariées et une augmentation de la catégorie « employeuses et indépendantes ».

B - Deuxième enquête relative à la faiblesse du nombre de femmes chefs d'entreprises en Algérie (2008/2009)

Une étude récente du Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) montre que le nombre de femmes chefs d'entreprises représente 3,2% du total des femmes actives en Algérie, bien que le taux d'activité des femmes ait connu une évolution importante. Cependant, a-t-elle constaté, le nombre de femmes qui optent pour l'entreprenariat reste «négligeable», ajoutant que de nombreux obstacles entravent l'émergence de cette catégorie d'activité pour la gent féminine dans le pays. A ce propos, sur un échantillon composé d'une centaine de femmes entrepreneurs, dont 72% sont issues de zones urbaines, 44,7% sont mariées, 81,2% sont diplômées, dont 24,7% ont un niveau d'instruction supérieur.

L'enquête montre que :

- 51,8% des femmes ont affirmé que l'idée du projet est venue de la spécialité de leur formation et l'expérience acquise au cours de leur vie professionnelle ;

- 28,2% ont confié que le montage financier de l'entreprise est une affaire de famille, dans la mesure où elles n'ont utilisé que leurs fonds personnels et de famille, alors que 16,5% ont bénéficié d'un crédit bancaire en plus de leurs fonds propres ;

- 67% d'entre elles ont affirmé ne pas avoir bénéficié des services de l'Agence nationale de soutien à l'emploi des jeunes (ANSEJ) et 98% à ne pas avoir été aidées par l'Agence nationale de développement de l'investissement (ANDI) ;

- 57% d'entre elles ont choisi le secteur des services, dont 90% gèrent elles-mêmes leur entreprise, alors que 83% ont avoué préférer continuer à gérer personnellement l'entreprise ;

- Pour le temps consacré par les femmes entrepreneurs à l'activité de leur entreprise, l'enquête montre que 52,9% y consacrent 8 à 10 heures de travail ;

- Interrogées sur les secrets de réussite du projet de l'entreprise, 50,6% ont affirmé que la compétence du promoteur est l'un des principaux atouts de réussite, alors que 48,2% ont estimé que le succès du projet dépend du réseau relationnel dont elle dispose ;

- 92% souhaitent développer leur entreprise en dépit des problèmes auxquels elles font face, notamment les impôts (34%), le problème de l'accès aux crédits (22,3%) et les responsabilités familiales (17,6%).

 Quelle conclusion tirer ? Je considère que la promotion de la femme, et notamment du travail dans son ensemble et l'entreprenariat féminin en particulier, comme le ciment et la vitalité de toute société. Dans la Phénoménologie du Droit, Hegel faisait allusion aux 3 strates fondamentales : la Famille, la Corporation, l'Universel. Le grand philosophe allemand Hegel avait, peut-être volontairement ou involontairement, oublié de mentionner : la Matrice de la Vie (la Mère) et l'Etat (les règles, les fonctions régaliennes, l'allocation des ressources collectives). Mais la matrice de base, la mère des matrices, le Noyau Central, El-Oum Ed-Dounia, la racine de l'arborescence, la racine de l'Arbre de la Vie, c'est notre mère. En un mot, nos filles et nos femmes ont besoin de la plus grande considération.

* expert international