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Algérie-France : Leçon d'éthique et de communication

par Ghania Oukazi

La ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés de la république française est venue à Alger, accompagnée de plusieurs journalistes. C'est dire qu'en France, on ne badine pas avec l'information officielle quand elle s'exprime à partir de l'étranger.

L'on se rappelle le nombre impressionnant de journalistes qui ont accompagné Jacques Chirac, alors président de la République française, quand il était venu à Alger, en 2004, féliciter Bouteflika pour avoir décroché son deuxième mandat présidentiel. Ils étaient 70 en tout, représentant l'ensemble des médias français. «Quand des journalistes accompagnent un officiel en déplacement à l'étranger, c'est pour ne pas laisser la voie libre aux éventuelles spéculations et supputations sur lesquelles la profession a tendance à se rabattre, en cas d'absence d'informations fiables et vérifiées,» nous a affirmé un diplomate français. Les officiels français qui se déplacent à l'étranger ont ainsi, cette formidable attitude qui consiste à briefer leurs journalistes directement et sans intermédiaire. «En général, ils dévoilent les volets les plus importants de leur visite quand ils sont dans l'avion du retour, ils tiennent à bien briefer les journalistes pour qu'il n'y ait pas cafouillage,» nous a expliqué un haut fonctionnaire du Quai d'Orsay. Il est clair qu'une fois abordées à l'étranger, les affaires de l'Etat méritent une médiatisation «bien cadrée.» Les officiels français en font un point d'honneur. Hier, Michèle Alliot-Marie a donné, peut-être sans le faire exprès, une excellente leçon d'éthique et de communication à ses homologues algériens. «Le programme de la visite, s'articule particulièrement autour d'un entretien entre les deux ministres qui portera sur l'évaluation de la coopération juridique et judiciaire et les possibilités de son développement et de son élargissement, ainsi que sur le renforcement des relations bilatérales entre les deux pays.» C'est ce qui ressort du laconique communiqué de presse qui a été remis, hier matin, aux journalistes accrédités pour la couverture médiatique de la rencontre entre Tayeb Belaïz et Alliot-Marie. Il faut dire que c'est le ministère de la Justice qui a adressé un fax aux différentes rédactions pour qu'elles désignent un journaliste à cet effet. Le fax précisait que les journalistes devaient être présents au ministère à 8h45.

L'affolement des gardes du garde des Sceaux

Dès les premières heures de la journée, les gardiens du ministère de la Justice étaient sur les nerfs. Accoutrés d'une tenue d'un gris bleu bien voyant, ils gesticulaient et criaient à la face de toute personne qui se permettait de traîner quelque peu le pas devant l'entrée du ministère. Ceux qui ont reçu sur la g?, ont été surtout les journalistes et quelques employés retardataires.  Plongés dans un affolement ahurissant, d'un geste sec et d'un cri bref et ferme, ces gardiens orientaient les journalistes sans aucune explication, vers une espèce d'entrée d'une bâtisse faisant face au siège du ministère. «On vous appellera plus tard,» lancera nerveusement un garde au visage d'un journaliste qui a voulu comprendre le pourquoi de cette nervosité et cet excès de zèle. Ils seront ainsi parqués pendant plus d'une demi- heure. Les sirènes se font d'un coup entendre, les gardiens gesticulent encore plus. On l'aura compris, c'est le cortège du ministre de la Justice qui vient de faire son entrée dans la rue où se trouve son siège. Les journalistes ne seront libres de quitter leur lieu de parcage qu'une fois Belaïz rentré dans son bureau. Ils passeront, un à un, devant le bureau d'enregistrement pour signer et troquer leur carte de presse contre un badge. Installé dans une salle d'attente, ils devaient prendre leur mal en patience puisqu'ils attendront jusqu'à 10h30 pour qu'on daigne les amener vers un hall dans lequel les deux ministres -du moins l'invitée de l'Algérie- devaient se mettre pour animer un point de presse ou tout au moins, faire une déclaration. A la mauvaise surprise de ceux qui attendaient depuis deux heures, Belaïz et Alliot- Marie arrivent dans le hall, s'échangent des embrassades bien chaleureuses pour se dire au revoir. La ministre française quittera le ministère, accompagnée de l'ensemble des journalistes qu'elle a ramené avec elle de France. Journalistes qui ont eu le privilège de rester au salon d'honneur, très loin de leurs confrères algériens, le temps qu'elle termine ses discussions. La ministre française ne fera aucune déclaration à la presse algérienne. «Ce n'est pas juste! C'est nul! Vous n'avez pas le droit ! On attend depuis des heures?», se sont lamenté les journalistes bien déçus.

Le droit à l'information bafoué par le ministre de la Justice

Alliot-Marie n'est pas la première responsable française à afficher une indifférence à l'égard de la presse algérienne, en présence d'officiels ? algériens. L'on se rappelle que les journalistes qui avaient accompagné le président Chirac, lorsqu'il était venu constater par lui-même les dégâts occasionnés par les terribles inondations de Bab El Oued (2002), avaient eu droit à tous les égards de la part des officiels algériens. Ils ont été encadrés par les plus hauts responsables de la présidence de la République algérienne. Entre autres comportements qui font mal, les responsables algériens avaient refusé que les journalistes français soient mis dans un même bus que leurs confrères algériens pour se déplacer du fameux quartier Triolet jusqu'aux «Trois horloges», centre de Bab El Oued. Les journalistes algériens avaient été obligés de faire le trajet au pas de course, au mépris de ceux qui les gouvernent.

 Le président Sarkozy était, lui, venu à Alger en 2009 pour féliciter Bouteflika après sa réélection pour un troisième mandat à la présidence de la République. Il avait avec lui un nombre impressionnant de journalistes qui avaient eu droit à tous les honneurs de la part des hauts responsables algériens.

 Lors du point de presse que Sarkozy a animé debout aux côtés de Bouteflika, des responsables de la communication de l'Elysée avaient décidé de ne laisser que les journalistes français poser des questions à leur propre président. Il a fallu que des journalistes confisquent presque le micro pour pouvoir avoir droit à la parole devant un Sarkozy qui regardait déjà de haut les Algériens chez eux.

 Hier, après le départ d'Alliot-Marie, Belaïz était retourné sur ses pas pour remonter dans son bureau. «Ce n'est pas juste ! » clamera encore un journaliste désabusé. Le ministre passera sans même regarder les journalistes qui étaient amassés sur son passage. Il montera calmement les marches d'escalier.

 Il ne regrettera pas d'avoir fait déplacer de nombreux représentants de médias sans leur avoir adresser un seul mot. Affichant une froideur déconcertante, le ministre de la Justice a privé, hier, les journalistes de leur droit à l'information. Il a bafoué un droit consacré pourtant par les lois de la République.