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L'art autrement vu : l'ermite et la palette

par Mohammed ABBOU

Le 19 Mars 2008, Alger accueille Tayeb ARAB dans son Palais de la Culture. Après une longue absence, des retrouvailles pleines d'émotion et de lumière couronnent le travail ardu mais très professionnel accompli par sa compagne Arlette CASAS.

Madame CASAS n'a pas organisé une exposition exceptionnelle, elle a provoqué un rendez-vous entre un pays et une partie de sa mémoire. L'Artiste, qui a enchanté sa génération par son immense talent, comme le reconnaît Yasmina Khadra, et qui a contribué à forger l'opinion publique de son époque, comme le pense KATEB Yacine, retrouve ses racines. Mais pas seulement, le génial caricaturiste de la « République » est devenu l'enchanteur des pupilles. Il murmure à sa palette les secrets de la séduction.

Il ne se contente plus de fustiger l'injustice et les travers de ses semblables, il les invite hors de leur matérialité sur un nuage de beauté pour découvrir une existence que, jusqu'alors, il se contentait de mimer.

Il leur offre son parcours de souffrances intimes, de solitude rassurante, de désirs cajolés, d'opinions mordues, d'affection profuse mais aussi d'attente émue, de souvenirs cultivés et d'espoirs renouvelés.

Il les invite à une croisière des sens dont l'itinéraire a été judicieusement tracé par Madame CASAS qui semble répéter un événement qu'elle a déjà vécu avec une touchante fougue et un savoir-faire sans pareil.

Sur ce sentier de couleurs, j'emboîte le pas à une foule conquise, avec un regard confiant que je croyais revenu de l'éblouissement dont j'ai eu la primeur.

Mais, dès le premier pas, je quitte de nouveau la réalité, abandonné par mes propres pensées que je retrouve à genoux devant la première toile. Une pythie sensuelle en émerge, elle agrippe le regard et le laisse aussitôt glisser sur ses courbes généreuses en levant les bras au ciel comme pour esquisser une danse dont elle a oublié le premier pas.

 Elle guette le secours de symboles qui s'entrechoquent au rythme d'une mélodie écrite par des couleurs timorées. Mais les symboles continuent à s'échapper, insouciants, d'un tapis absorbé par la vue de sa voisine, une amphore grosse de la promesse des olives.

Arab épie, lui aussi, le frémissement de la vie dans les gémissements des couleurs sous l'agression de la lumière, dans leurs tentatives de s'accrocher aux filets fragiles de la lueur du jour ou encore dans leur retraite désordonnée devant la charge impétueuse du regard. Il mène sa quête avec conviction et douceur sans fougue ni brutalité.

Chasseur accompli de l'authenticité, il sent que la mémoire sait mieux regarder après nous. La rigueur a chez lui, depuis longtemps, fait naufrage et une part de son innocence lui échappe des doigts à chaque fois que le talent l'écrase. Dans la vie, il y a une part de souffrance à laquelle on ne peut échapper, elle est le prix du bonheur initiatique et de la recherche du beau, certains la nomment Fatalité, Arab y puise son talent. Il ne verse pas pour autant de larmes sur le souvenir bousculé ou sur un présent châtié, il préfère rire de la vanité de toute violence qui prétend à l'intelligence. Des figures fuyantes mais d'une pudeur féconde qui s'excusent de traverser le présent mais harcèlent les yeux du futur. Des postures qui miment le désaveu avec plus d'éloquence que la crispation des traits ou le rictus du regard. Des acrobaties sur toile qui dégagent l'inaltérable splendeur d'une poésie qui suinte d'un pinceau sourd. Des Traits brefs et débridés enfantant sans un cri des silhouettes créées pour se rebeller contre leurs propres modèles. Des couleurs qui s'imposent presque sans matrice ni support et s'incrustent dans des espaces qu'elles semblent avoir toujours occupés. Une fantaisie trompeuse qui réveille l'instinct comme le désir et les provoque jusqu'à l'implosion en une sensualité non assumée. Arab traverse, impitoyable, l'espace de l'émotion pour investir la demeure de l'esprit en retraite. Le génie de ses constructions défie les plis rétifs de sa retenue et se moque de la sentence du temps. Véritable gardien de la créativité, il ne la libère qu'après combat, car il a compris que donner à voir c'est aussi se donner. Il refuse alors de reproduire le beau, il l'interprète et le glorifie, parfois jusqu' au mensonge. Mais avant de parfaire une silhouette, il lui fait d'abord une place et charge chaque trait d'une insondable magie qui témoigne de cette quiétude du regard que seule permet la sincérité. Arab négocie avec la nature la reddition de son éclat à son geste conquérant ; mais lorsqu'on distille la volupté, il faut s'attendre à ne jamais rassasier personne.