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Il arrive au présent chroniqueur de prodiguer quelques enseignements à
des reporters en devenir lesquels, charme confondant de la jeunesse et de la
vocation, n'ont cure de la précarité actuelle du métier qu'ils entendent
exercer. Il m'arrive aussi de m'adresser à de futurs détenteurs de Master of
Business Administration (MBA), ce précieux sésame pour managers dynamiques,
entrepreneurs, hommes ou femmes d'affaires, bref, autant de nouvelles recrues
pour la vaste armée des bons soldats de la mondialisation.
Si les matières sont différentes (techniques d'écriture pour les uns, principales théories économiques pour les autres), les deux cours me posent deux problèmes identiques. Le premier concerne l'utilisation de l'ordinateur par les étudiants. Ah, c'est le progrès, dira-t-on. N'y a-t-il pas meilleur symbole d'un enseignement moderne qu'une classe de post-adolescents (les futurs plumitifs) ou de jeunes adultes (les futurs cadres de la World Company) disposants tous de leurs « micros » - expression qui tombe en désuétude ? ou de leurs portables ou bien même de leurs i-machin-chose ? Certes, mais la médaille a son revers. Comment être sûr que ce rouquin perché en haut de l'amphi et qui pianote comme un forcené sur son clavier est en train d'enregistrer les nuances entre une enquête et un reportage ? Et cette brune dont l'écran masque à peine le visage, il faudrait vraiment être naïf pour croire que ce sont mes digressions à propos de la théorie de la monnaie qui la font sourire et glousser ainsi. Vous l'aurez compris, l'ordinateur personnel en classe, c'est la possibilité de surfer sur internet pendant que le pauvre vacataire s'égosille. Selon, une statistique publiée par le Massachusetts Institute of Technology (MIT), la période maximale de concentration ininterrompue des étudiants serait passée de vingt-cinq minutes dans les années 1970 à moins de douze minutes aujourd'hui. Et à en croire ce célèbre établissement, l'irruption des ordinateurs et autres outils électroniques aurait sa part de responsabilité dans cette évolution qui pose bien des défis aux enseignants, obligés pour certains de se transformer en animateurs afin de garder l'attention de leur auditoire. Il y a deux ans, j'ai vainement essayé d'interdire les ordinateurs pendant mes cours. Ce fut une vraie bronca. Protestations, mines effarées devant une telle manifestation d'arriération, conciliabules et entrevue solennelle avec les deux délégués. « Vous voulez revenir à l'encre et au porte-plume ? » m'a lancé l'un d'eux. Je me suis mordu les lèvres pour ne pas répondre par l'affirmative et je n'ai pas insisté. Depuis, je me contente d'errer entre les rangées selon un mouvement aléatoire destiné, non pas à piéger les accros de la messagerie instantanée mais juste à leur créer suffisamment d'inconfort pour perturber leurs divagations sur la toile. Mais les choses changent. Depuis peu, des universités américaines interdisent ou restreignent l'usage des ordinateurs durant certains cours. D'autres, équipent leurs classes et amphithéâtres de dispositifs qui empêchent à la fois l'accès à l'internet mais qui brouillent aussi les téléphones mobiles et leurs variantes électroniques. C'est une bonne nouvelle car presque tout ce qui vient des Etats-Unis finit par devenir une mode que personne n'osera contester. « Les Américains le font, on va le faire aussi » est une phrase qui saura convaincre n'importe quel président d'université ou d'école de commerce? Mais si je n'ai pas encore pu interdire l'ordinateur, j'ai tout de même réussi à pratiquement bannir l'emploi de l'incontournable Powerpoint. Pour ceux qui l'ignorent, il s'agit de ce logiciel qui a supplanté les transparents et qui permet de faire de belles présentations sur grand écran avec force couleurs, flèches, carrés, rectangles, animations et autres tableaux. Il est désormais impossible d'échapper au règne du « slide ». Universités, entreprises, administrations et même gouvernements : toutes et tous en sont malades. Où est le problème, me direz vous ? C'est bien simple : Powerpoint est un outil qui incite à privilégier la forme au fond. On perd des heures précieuses à préparer sa présentation, on abuse des « bullet point », ces puces qui résument les principales idées, et, sans s'en rendre compte, on en arrive à mécaniser son discours et sa réflexion. Au final, toutes les interventions orales finissent par se ressembler sachant qu'il n'y a rien de plus ennuyeux qu'un orateur qui commente ses planches ou, pire encore, qui les lit l'une après l'autre sans d'autres explications. Powerpoint est l'outil préféré des consultants en organisation et autres vendeurs de vent. Il est l'emblème de l'âge du « haf » et de la communication où l'apparence prime sur le contenu. Il dicte ses conditions et celui qui l'utilise doit se plier à ses exigences. Et sans s'en rendre compte, on finit par s'adapter à lui et à modifier notre manière de penser en fonction des slides qu'il faut projeter. C'est ce que j'ai expliqué aux étudiants en leur disant qu'une présentation bien réfléchie et bâtie sur du solide pouvait se passer de tels artifices. J'ai aussi précisé que se remballer ce logiciel est aussi une manière de s'obliger à maîtriser la prise de parole en public. Depuis le printemps dernier, j'ai même un argument supplémentaire. Après une présentation Powerpoint sur l'organisation des troupes américaines en Afghanistan, le général des Marines James N. Mattis a eu ce jugement lapidaire qui mérite d'être diffusé dans la planète entière : « ce logiciel nous rend stupides », a-t-il déclaré. Des propos de bon sens dictés par le caractère incompréhensible et compliqué de la majorité des slides produites ici et là. Il ne faut donc plus s'en laisser compter. L'usage de Powerpoint n'est certainement pas la preuve d'une quelconque expertise si ce n'est celle de savoir arranger puces, diagrammes et autres formes géométriques sur un écran d'ordinateur avant de les projeter. Et si vous n'êtes pas convaincus, je vous incite à lire un ouvrage qui va paraître ces jours ci et qui enfonce le clou puisqu'il démontre comment Powerpoint appauvrit la pensée et la créativité (*). Et cela devrait d'ailleurs nous inciter à réfléchir à l'effet d'autres logiciels comme par exemple les traitements de texte. Ecrire, effacer et perdre pour toujours ce qui vient d'être affiché à l'écran, retaper sans être capable d'annoter à la marge, ou dans un coin donné : on ne se rend pas compte de la contrainte qu'imposent ces outils censés faciliter notre tâche et de la manière dont ils affectent l'écriture. Cela concerne même l'orthographe puisqu'un mot souligné est immédiatement corrigé ce qui dispense de passer quelques minutes à feuilleter un dictionnaire (acte formateur où l'on apprend toujours quelque chose de manière incidente). Mais allez expliquer cela aux enfants de l'internet qui peuplent désormais classes et amphithéâtres? (*) La pensée Powerpoint : enquête sur ce logiciel qui rend stupide, Frank Frommer, La Découverte, octobre 2010. |
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