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Pendant que le monde se pose la question de «faut-il brûler
le Coran ou non ?», en fausse réponse à la question moderne de «faut-il brûler
les musulmans ou non ?», en Turquie, on fait mieux : «faut-il brûler la
Constitution ou non ?». Un référendum mené par le gouvernement islamiste actuel
tente un bon coup de «démocratisation» qui lui donnera l'avantage : réduire le
monopole des militaires sur l'appareil judiciaire et sur la vie politique (la dissolution
d'un parti ne pourra être désormais décidée que par le Parlement). «Islamisée»
par Israël, le Bushisme, El Qaïda, le cas de l'Irak, le rejet de l'UE et les
instabilités régionales, et qui ont tout fait pour faire basculer les opinions
de la planète d'Allah vers le radicalisme, la société turque a voté «oui» pour
cette réforme. Les Turcs ont aussi voté «oui» pour d'autres raisons plus saines
bien sûr. L'UE, première concernée autoproclamée par ce vote, a salué «la
démocratie» du geste mais n'a pas encore pesé le sens de l'acte.
Vue de loin, c'est encore une fois, pour un fervent de la séparation de la mosquée et de l'Etat, la même question qui se pose depuis les années 90 : faut-il laisser un peuple voter, démocratiquement, la fin d'une démocratie ? C'est-à-dire, faut-il laisser voter un peuple si ce peuple vote «islamiste» ? Ou faut-il, au nom de la démocratie, contrôler la démocratie ? Dans le cas de la Turquie, il s'agit de stopper la montée de l'islamisme politique par des castes militaires gardiennes des «lois» et des «règle du jeu» ou de démocratiser, à l'encontre de la volonté d'anciens putschistes, par la voie de l'islamisme qui a déjà gagné les faveurs du peuple civil. Dilemme sans réponse. Dans le cas de la Turquie, on a moins, cependant, la satisfaction esthétique de voir la démocratie se jouer sur fond de performances économiques réelles. Il y a dix ans ou vingt ans, la Turquie était une caserne qui fabriquait beaucoup de moustaches ou de cadavres kurdes mais pas une seule machine à coudre. Ce pays a su tirer leçon cependant de l'expérience dramatique de pays confrontés à l'illusion de la «solution par l'Islam». Il n'a pas décidé le coup d'Etat direct comme en Algérie, ni le banditisme électoral comme en Egypte, ni la négation systématique comme en Tunisie avec renvoi à date ultérieure de la crise islamiste. Il n'a dit pas «non», ni que «cela n'existe pas», ni que «jamais cela n'arrivera». Les islamistes turques ont su donner à leur couleur politique une teinte de modernité, de relativisme et de compromis qui leur a assuré d'être admis dans le jeu politique, sans recourir à des populismes désastreux. La caste militaire a su comprendre la «fin de son mandat» et la nécessité d'investir plus les PME/PMI que les kasmates et les cellules de partis. Ce pays a su, en deux décennies, se faire fabriquer une réputation de pépinière d'entreprises qui «contrôlent» de gros secteurs dans toute la Méditerranée, recycler ses retraités militaires, recruter ses islamistes et enrichir le pays sans appauvrir la nation. Un bel équilibre, fragile, difficile et qui pose un défi aux islamistes au Pouvoir comme à leurs opposants au sein du Pouvoir. Le référendum d'hier en repose les termes, encore une fois, sans solutions définitives. La Turquie peut glisser, peut ne pas glisser, peut rester debout et continuer et peut aussi trébucher. Tous regardent ce feuilleton turc, le feuilleton le plus célèbre de la production cinéma de ce pays. Reste le reste : c'est-à-dire nous. Là où l'islamisation politique a fini dans le massacre ou la compromission. Le meurtre ou la corruption. Là où la démocratie est stoppée à la hauteur du verbe et du communiqué. Là où la Constitution est un mouchoir en papier qui n'est utilisé que pour se moucher ou reconduire une présidence à vie. Chez nous où l'islamisme n'a même pas cette intelligence d'être nationaliste, mais a la fourberie d'être entriste. Chez nous où les éradicateurs et les anciens très hauts officiers n'ont pas fini chefs d'entreprises performantes mais réconciliateurs récompensés avec des enfants importateurs d'aiguilles à coudre. Chez nous où les petits-enfants de Nahnah ont fini commerçants, courtiers, goudronneurs de routes, rentiers de la rente nationale, intermédiaires et petits applaudisseurs d'un régime qu'ils dénoncent dans les mosquées et dont ils embrassent la main avant le repas. Chez nous où après une décennie de crise rien n'est clair, rien n'est laïc : le Pouvoir a une barbe, les islamistes ont des moustaches, la Présidence fabrique des mosquées et les religieux font des affaires. Peut-être que l'atavisme des nations est une vérité : les portes sublimes peuvent revenir par les fenêtres et les régences de pirates restent des régences ? la Turquie semble aujourd'hui fasciner tout le monde : les militaires qui ont mal fini après la mise en retraite, les islamistes idiots, les libérateurs oraux de la Palestine, les laïcs qui n'ont pas le choix et les femmes qui ne veulent pas regarder les feuilletons égyptiens. |
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