Les années passent, repassent et se
ressemblent. L'approvisionnement en pain est toujours un casse-tête pour toutes
ces familles qui comptent s'en approvisionner lors des fêtes comme celle qui
vient de s'écouler. Et malgré les mobilisations d'ici et là à la crédibilité
professionnelle, le contraire a été une fois de plus constaté. A l'instar de
toutes les villes du pays, Béni-Saf ressemblait, vendredi et samedi, à une
ville morte. Pratiquement, tous les commerces étaient restés fermés, et pis
encore, même les boulangeries. Comme l'illustrent les propos de ce chef de
famille: «Moi, drôlement, aujourd'hui, je n'ai même pas ouvert mon
porte-monnaie». Néanmoins, seuls les salons photos ont ouvert leurs portes pour
recevoir des enfants joliment habillés. Cependant, si les familles ont tout
prévu ou plutôt tout acheté pour les deux jours de la fête, il se trouve qu'il
y a toujours quelque chose d'oublié ou à acheter de nouveau. Le pain, par
exemple, est un produit qui, chez nous, se mange non seulement préférablement
frais, mais en plus n'est jamais consommé régulièrement ni dans la quantité ni
dans le temps. Un jour, on achète 7 à 8 pains, et le soir, il faudrait encore
repasser chez l'épicier du coin, comme on peut en acheter la moitié et que le
lendemain quelques-uns sont toujours dans le sac. Cette fois-ci, c'est raté,
l'épicier lui-même en avait besoin pour sa propre famille. Et même si chez une
grande majorité de familles, le plat favori de midi, lors du premier jour de
l'Aïd, reste le couscous, il est impérativement utile d'acheter du pain pour le
dîner. Plus encore, chez certains jeunes, même le couscous est accompagné de
pain. Et comme le pain était pratiquement introuvable, la plupart des gens
étaient rentrés bredouilles. Comme en témoignent toutes ces scènes faites
d'enfants le sac à pain sous le bras, qui, tôt dans la matinée, parcouraient
les rues désertes à la recherche de ce produit devenu soudainement rare. Les
boulangeries qui, à Béni-Saf, ont, lors de ce week-end prolongé, ouvert leurs
portes, se comptaient sur les doigts d'une main. Alors, je ne vous dirais rien
sur la chaîne humaine qui s'était formée devant une boulangerie qui avait
ouvert ses portes dans ce quartier Est de la ville. Quant aux vendeurs de pain
traditionnel (ou khôbz el dâr), ils n'avaient plus trouvé d'intérêt à
stationner sur les trottoirs. Ils se sont déjà frotté les mains pendant le mois
sacré. Une simple khobza était vendue à 30 dinars. Sinon, leurs clients les
plus informés qui connaissaient leurs adresses étaient passés chez eux pour en
acheter. Dire aussi que cette tension sur le pain avait commencé la veille,
quand une bonne partie des boulangeries avait déjà libéré leurs employés. Là,
il est presque inutile de signaler que la plupart de cette main-d'œuvre,
qualifiée ou pas, vient d'autres régions et que le retour parmi les leurs dure
souvent une semaine. Encore que des propriétaires ou exploitants de
boulangeries eux-mêmes sont originaires d'ailleurs, les projets sont les mêmes.
Regrettable quand on pense qu'il n'y a pas longtemps (une vingtaine d'années
environ), de toutes les fenêtres des maisons sortait une odeur agréable de pain
traditionnel, symbole d'une tradition qui voulait que le pain se prépare à la
maison lors de ces fêtes religieuses. Pourtant, nous dit-on, les services
concernés sont passés quelques jours auparavant pour leur demander d'assurer le
service minimum, soit de travailler le premier, soit le second de la fête.
Aujourd'hui, une question est sur toutes les langues, comment éviter à l'avenir
ce genre de défection? L'idéal serait peut-être de négocier un système de
permanence avec leurs représentants.