Comment t'as fait ya si el ma, dans tout ce cilima pour
changer subitement de nom sans que tu changes d'aspect ou de couleur ?
s'interroge Otchimine en portant de lourds jerricanes sur ses frêles épaules.
Les épaules qui ont porté la pierre de Murdjadjo pour construire El-Bahia et
son port. «Y'a, dans nos têtes, quelque chose qui ne tourne pas rond», ronronne
le vieux guerrier, qui rêve des cascades et de l'Ourit, aujourd'hui taresi.
Otchimine perd la boule quand il voit un nouveau commerce qui a pris naissance
dans nos villes. Jadis, on l'appelait tout simplement «El-Ma» et elle était
toute délicieuse et «potable» à boire. Par quel miracle, lui a-t-on attribuée
un adjectif alors qu'elle se fait de plus en plus rare? Et comment, surtout, en
est-on parvenu à l'appeler «El-Ma H'lou». De par ce qualificatif, l'eau est
devenue synonyme de canne à sucre. Et pourtant, aujourd'hui, cette eau, on la
boit amère. Quant «El-ma» est sans goût, c'est la facture qui est salée. Chez
ceux qui gèrent notre eau et bas salaires, on se base sur un principe : «moins
on consomme cette denrée vitale, plus ça chiffre dans les factures». Ce
principe constitue un tour de passe-passe qui rend tout objet transparent mais
pas l'eau, ni la facture, d'ailleurs.
Toute cette pénurie
d'eau, c'est la faute aux travaux du tramway. C'est grâce à lui que les
coupures se font de plus en plus fréquentes. Bientôt le problème sera réglé. Ce
nouveau moyen de transport sillonnera la ville. On pourra se déplacer aisément.
Et le grand bénéfice c'est qu'on pourra aller chercher nos jerrycans d'eau là
où ça nous plairait. Les chauffeurs de taxis n'ont qu'à bien se tenir, eux qui
ne daignent même pas s'arrêter quand ils nous voient chargés.