En
scannant la molle actualité du monde «arabe», dernier empire idéologique à ne
pas vouloir mourir dans la dignité et avec juste partage de son héritage, on
tombera fatalement sur la dernière déclaration de Kadhafi, sa dernière
trouvaille pour attirer les médias ou le sourire du Destin. Pour cette semaine,
c'est son fameux «L'Europe doit se convertir à l'Islam». C'est la suite de son
fameux appel au djihad des musulmans contre les Suisses parce que son fils y a
été bousculé et interpellé. Faut-il commenter ? Légèrement : la recette Kadhafi
n'est pas nouvelle ni moins ridicule que d'habitude. Pour cette fois, c'est à
l'occasion d'un anniversaire sur le traité d'amitié avec les Italiens, signé il
y a un an. Pour ce faire, il a encore eu recours à des agences de mannequins
pour s'offrir le parterre de quelques centaines de jeunes filles voilées en
auditoire. Tout cela, on connaît et donc la question est : faut-il en parler
encore cette fois ? Oui. Pour tenter la biographie exemplaire d'une génération.
Laquelle ? Celle d'une génération de dictateurs arabes en voie d'extinction
totale. Ils sont en effet de deux sortes : des Rois venus au trône à force de
bras, de tueries familiales et fratricides, d'agences anglo-saxonnes et
occidentales, et des colonels devenus Présidents avec un communiqué N° 1, deux
chars, une Radio, une extase et le poids d'un peuple fatigué. Les fils de
«Lawrence d'Arabie» et ceux de Che Guevara. Les deux «genres» s'aimaient,
s'unissaient, se détestaient, se culbutaient, signaient des accords ou
soutenaient des oppositions dans le pays le plus voisin.
Pour l'usage de ces noces immédiates après
les décolonisations, on avait sous la main les «brigades clandestines», les
groupes de mercenaires idéologiques de l'extrême-gauche, les «Services», les
étrangers et les putschistes et autres «correcteurs de la révolution dévoyée».
Cela se faisait le soir, dans le dos. Au matin, c'était le panarabisme et la
fraternité et les intérêts communs et la guerre assise contre Israël. C'était
une époque et qui devait avoir une fin et cette fin viendra avec la fin de
l'URSS et surtout la guerre du Golfe. La pendaison de Saddam sera la pierre
tombale d'une ère. Des rois et des Colonels de cet «âge des communiqués»,
beaucoup sont morts de maladie, ont été hérités par les fils ou les frères ou
des Généraux «élus». Il n'en restera, sur le catalogue des archéologues, que
Kadhafi, véritable fossile idéologique des fastes et misères des «Révolutions».
Synthèse tardive et immangeable entre les partisans du putsch et des fervents
de la monarchie, il se fera Roi-colonel, élu et protecteur. Du coup, il passera
par tous les modes : d'abord ceux de la révolution permanente, des correctifs
sanguinaires, des restaurations des souverainetés, des «Unions» et des purges.
A la fin, regardant mourir Saddam, il se convertira à la Paix et aux travaux
internationaux d'intérêt public. Sans cependant céder sur son penchant, celui
de toute une époque, pour le faste, les revirements folkloriques et les
déclarations provocantes. A tel point qu'on finit par s'interroger,
légitimement, si cet homme n'est pas maintenu au Pouvoir pour amuser la scène
et illustrer le ridicule collectif de toute une «aire» par ses danses en pagne.
Déclarer que «L'Europe doit se convertir à l'Islam», payer des mannequins pour
avoir un auditoire sont des numéros de cirque qui imposent trois questions:
peut-on être propriétaire de tout un pays et de tout un peuple quand on est
aussi fantasque ? A-t-on le droit de laisser un peuple entier à la disposition
d'un «Père de la nation» aussi abusif avec un tel risque de stabilité pour tout
le Maghreb ? Que deviendra ce pays voisin lorsque cette blague sera finie ?
L'image d'un Prince méchant, loufoque, propriétaire d'une île garnie de perles
ou de vanille, adorateur des femmes blanches et des collections de plumes sur
les têtes, a longtemps illustré les caricatures hollywoodiennes sur le «monde
sauvage» et les pays lointains. Elle illustrera aussi, longtemps, certains
régimes bâtis sur l'extase et finissant sur la dictature du ridicule. Kadhafi
n'est pas le problème des Libyens uniquement mais aussi le désastre de toute
une esthétique du règne et de la gouvernance. Il ne fait rire que les
Occidentaux. Quant à nous, il nous fait penser avec tristesse et compassion au
Libyen enfermé dans la figuration de ses sketchs.