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«Si l'Etat était véritablement un Etat de droit, il aurait célébré
lui-même cette journée», a lancé la mère d'un jeune garçon disparu en 1996
alors qu'il n'avait que seize ans.
Hier, 30 août, le monde célébrait la Journée internationale des droits de l'Homme. Les familles des disparus ont pensé que c'était là une occasion à ne pas rater pour réclamer encore et toujours «Vérité et Justice» sur le sort de leurs proches. Le mot d'ordre a été donné particulièrement par le bouche-à-oreille. Un regroupement de ces familles devait ainsi avoir lieu du côté de la Grande Poste, en plein cœur de la capitale. Il y va sans dire que la place et tous les alentours pullulaient d'hommes en tenue bleue et d'autres en civil. Commissaires, officiers de police et membres des brigades d'intervention avaient encerclé les lieux. Leurs véhicules occupaient aussi les abords des rues avoisinantes. Hommes et femmes proches des disparus forcés ont répondu à l'appel. Mais dès leur arrivée, ils ont été confrontés à des escarmouches avec les agents de l'ordre. Deux jeunes filles, dont les frères sont comptés comme disparus, nous a-t-on dit, ont été embarquées et dirigées vers le commissariat. Jusqu'à 12 h, elles étaient toujours au «Cavaignac». Hassan Ferhati, membre de SOS Familles des disparu (e)s, avait lui perdu connaissance dès le début du sit-in. Diabétique et souffrant de problèmes cardiaques, il ne pouvait avoir la force pour supporter d'être debout sous le soleil et sous les yeux menaçants des policiers. «On les a embarquées parce qu'elles étaient en train de filmer les policiers avec leur portable. Pour nous, dès qu'on voit quelqu'un en train de filmer la police ou des lieux sensibles, on l'embarque automatiquement au poste pour qu'il décline son identité et signe un PV,» nous a expliqué un officier. Il promettra que les jeunes filles allaient être relâchées «dans peu de temps». Deux commissaires étaient présents sur les lieux mais ils ont choisi de se faire discrets en se mettant sous un arbre. La chaleur les y avait contraints peut-être plus qu'autre chose. «Pourquoi vous nous empêchez de tenir notre rassemblement ? Nous, on ne vous empêche ni de parler, ni de bouger, ni de faire votre travail. Laissez-nous alors nous rassembler, on n'a jamais fait de mal à personne», avait rétorqué une vieille femme à un policier qui lui demandait de partir. «Pensez-vous qu'on puisse débarquer à 2 h du matin et prendre un vieux de 82 ans pour que sa famille ne puisse plus le revoir à ce jour ?», a interrogé une autre avec la gorge serrée. Bien que plus sensibles que les hommes, les femmes ont mieux tenu hier. Elles sont restées bien plus longtemps que les hommes sur les lieux du rassemblement. Elles ont toutes une histoire à raconter. La même qu'elles racontent depuis plus de 12 ans, pour combattre l'oubli et réclamer justice. Elles se rappellent au détail près de la manière avec laquelle leurs proches ont été forcés à disparaître. Le temps n'a pas altéré leur mémoire. «Pourquoi ces disparitions forcées ? On aurait voulu qu'ils les emmènent et leur fassent des procès, on aurait accepté de leur ramener le couffin quel que soit le nombre d'années de prison. Mais vivre sans savoir où ils ont été amenés, c'est l'horreur pour nous ! Où est l'Etat de droit que les officiels se targuent d'avoir édifié ?». La maman de ce jeune garçon de 16 ans, pris de force de chez lui en 1996, parlera longtemps et tentera de décrire la douleur qui la ronge depuis plus de 14 ans. «Je voudrais juste une tombe pour mon fils,» réclame une autre dont l'enfant de 24 ans a été enlevé, avait-elle dit, par des amis de son mari. «Mon mari est décédé de chagrin, il attendait toujours d'avoir des nouvelles de notre fils, mais en vain,» affirme-t-elle. «Au ministère de l'Intérieur, on nous a dit qu'aucune instruction n'a été donnée par les responsables pour empêcher la tenue des rassemblements des familles des disparus, encore moins pour les réprimer violemment», avions-nous dit hier à un policier. «Daâoua rahi mkhalta (la situation est confuse)», nous a-t-il répondu avec un sourire discret. La même question a été posée à un officier de police. Il se contentera lui aussi de sourire. Sans aucun commentaire. A la vue de l'appareil photo de notre collègue, un agent de l'intervention lui demande de montrer sa carte professionnelle. «Vous pouvez travailler, c'est juste pour savoir de quel journal vous êtes», a dit le policier au photographe. «Ca fait dix ans que vous prenez des photos, les mêmes photos, et vous voulez en prendre aujourd'hui aussi ?», interroge un officier de police. «Prenez une photo, une seule, mais sans les policiers,» finira-t-il par dire à notre photographe. «Ordre nous est donné pour disperser le sit-in, alors rentrez chez vous s'il vous plaît,» n'arrêtait pas de dire un autre policier aux femmes déterminées à rester encore. «On ne partira pas d'ici jusqu'à ce que vous libériez les deux jeunes filles», lui rétorque une des femmes. Les policiers finiront par avoir gain de cause. Les femmes ont quitté les lieux encore une fois avec le cœur désespéré et la gorge serrée. Les voitures de police banalisées, des Golf noires en général, démarrent au fur et à mesure que les manifestantes se dispersent. La présidente de SOS Familles des disparus fera passer «le mot» d'un prochain rassemblement. «On se rassemblera mercredi comme d'habitude devant le siège de la commission de Ksentini, mais on y sera aussi dimanche prochain pour marquer Leilet El-Kadr», a-t-elle indiqué. «Peut-être que les cœurs des officiels s'attendriront quelque peu sur notre cause. Que Dieu leur ouvre les yeux sur ce qui se passe comme hogra et déni de vérité et de justice dans notre pays !», priera une maman. |
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