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Médéa: L'attaque de «La Crémaillère», 49 ans après

par Rabah Benaouda

Plus que quelques jours nous séparent de la «journée nationale du Moudjahid» qui coïncide avec le 20 août de chaque année, et le devoir de mémoire nous amène à «rappeler» à ceux encore vivants qui s'en souviennent et «raconter» à tous les autres, les plus jeunes notamment, ce haut fait d'armes qu'a connu la ville de Médéa un certain lundi 14 août 1961 : l'attaque surprise et spectaculaire du tristement célèbre bar «La Crémaillère», œuvre d'une poignée de moudjahidine - commando de l'armée de libération nationale. 14 août 1961 - 14 août 2010 : il y a de cela 49 ans?

«Une opération commando de ce genre? dont le récit, très détaillé et empreint d'une très grande émission, nous est fait par son principal organisateur et dont fut l'objet, le 14 août 1961 aux environs de 20h15, juste après la prière du Maghreb, ce bar «la Crémaillère» situé dans une rue (l'ex- rue Jean Richepin) du centre-ville de Médéa. Un bar devenu café à l'indépendance dans cette même rue qui porte aujourd'hui le nom d'un des six commandos auteurs de cette célèbre opération : le chahid Ahmed Ferrah (ou Ferrache) dit «Ahmed Ellouhi». Et celui qui nous parle n'est autre que M. Mahmoud Toubal-Seghier dit «Tcheknoun», le responsable politico-militaire d'alors chargé de la région locale qui englobait Lodi (actuellement Draâ Smar), Mouzaïa, Les Mines, (Tamezguida), Damiette (Aïn Dheb), Oued Lahrèche et Ghezaghza. Des zones se trouvant tout autour de la ville de Médéa, elle-même appartenant à la zone II de la wilaya IV historique.

Pour cette attaque spectaculaire du bar «La Crémaillère», M. Mahmoud Toubal-Seghir «Tchekmoun» dira: «De grosses difficultés commençaient à se faire sentir dans les maquis avec surtout le nombre en diminution constante des moudjahidine, le manque ou l'insuffisance de l'armement et de l'habillement, la lassitude qui commençait à gagner la grande majorité des Djounoud? D'où la décision prise par les responsables politico-militaires de la wilaya IV historique de transporter la guerre des maquis vers les villes, c'est-à-dire renforcer la guérilla. Et de laisser la liberté d'action pour chaque responsable politico-militaire local ou zonal. Partant de là, j'ai pris la décision d'attaquer ce fameux bar «La Crémaillère» pour deux raisons essentielles : d'abord, il se situait à une cinquantaine de mètres seulement du siège du commissariat de police de l'époque (aujourd'hui transformé en centre médico-social ? CMS ? de la sûreté de wilaya de Médéa) dans une rue (l'ex-rue Jean Richepin) très fréquentée par les Européens. Ensuite, ce bar était le lieu de rencontres et de rendez-vous privilégié des gendarmes tortionnaires, des agents de renseignements du deuxième bureau, de beaucoup de soldats et surtout d'officiers de l'armée coloniale auxquels s'ajoutaient des traîtres à la cause nationale». Et Si Tcheknoun de poursuivre: «C'était un opération que nous avions juré de réussir avec l'aide de Dieu».

Comment? «Deux mois de préparation avaient été nécessaires, comportant particulièrement l'étude du terrain, les possibilités de repli après l'attaque, le choix des hommes du groupe de commandos et de l'agent de liaison, le choix d'un domicile proche du bar car nous nous devions d'y passer la nuit du 13 et toute la journée de ce lundi 14 août 1961 pour espérer réussir cette opération? Le groupe se composait notamment de Abdelkader «Chaabouna», Si Ahmed «Ellouhi», Moha S'ghir de Hannacha, un certain Fodhil (le premier étant décédé après l'indépendance et les trois autres durant la guerre de libération nationale). Avec un plan d'attaque mûrement réfléchi, nous fîmes irruption dans le bar en laissant «Chaâbouna» et Moha Sghir au guet dehors? le bar, qui était un restaurant en même temps, était bondé comme d'habitude? Nous passâmes à l'action? Et le bilan rapporté une journée après cette attaque par le journal colonial l'Echo d'Alger avait fait part de huit morts et quatre blessés parmi les consommateurs. Alors que nous n'avions compté qu'un seul blessé léger, Fodhil, qui avait été touché à l'épaule par une balle tirée à partir d'une fenêtre. Nous avons su, par la suite, que le nombre des morts et des blessés était beaucoup plus élevé que celui reconnu par les forces d'occupation, et ce, conséquemment au grand nombre de chargeurs des mitraillettes Mat 49 que nous possédions et que nous avions presque tous vidés sur tout ce qui bougeait à l'intérieur du bar.

 Nous avions réussi la gageure de parcourir, à plusieurs reprises, cette rue Jean Richepin, en aller-retour, sans avoir éveillé le moindre soupçon aussi bien des passants que des policiers de faction devant le commissariat. Et ce, à environ deux heures de l'horaire prévu pour le début de l'attaque de ce bar «La Crémaillère». Nous avions, tous les six, l'air de véritables soldats français, habillés de tenues toutes neuves et portant des armes tout aussi neuves».