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Un sale été pour Sarkozy (2ème partie) : vilaines dérives sur l’immigration et la délinquance

par Pierre Morville

Pour faire oublier les impasses économiques, l’affaire Woerth, la chute dans les sondages, le Président ré-enfourche son cheval favori, la sécurité. Au risque de ne pas convaincre longtemps.

Joli coup, Nicolas ! Bien au-delà des découpes gauche-droite, beaucoup de républicains avaient été choquéls par ses dernières propositions démagogiques et réactionnaires, associant étroitement délinquance et immigration, Français d’origine étrangère et menaces sur la nationalité.

 Hélas ! Hélas ! Un sondage opportun paru dans le Figaro montre que l’essentiel de Français applaudissent ces annonces iniques. Sur la possibilité de déchoir de leur nationalité des délinquants qui auraient acquis la précieuse carte d’identité, 70% des sondés y sont favorables comme 50% des électeurs de gauche. Et l’adhésion est encore plus forte lorsque le retrait de la nationalité française porte sur des cas d’excision ou de polygamie, avec 80% de réponses positives (60% à gauche). La fermeture des camps des romanichels ? 94% à droite et 60% à gauche approuvent !

Seule exception, le clivage droite-gauche se reconstitue sur la prison proposée pour des parents de délinquants récidivistes (35% favorables à gauche, 75% à droite). Un tel plébiscite de la « France qui a peur » permet au président de s’éloigner de ses ennuis actuels. Un temps.

La sécurité, la réponse toute faite qui marche toujours ?

C’est à voir. Ce succès démagogique de Sarkozy peut-il tourner victoire à la Pyrrhus ? Le triomphe claironné peut-il déboucher de sévères déconvenues ? Oui, pour trois raisons.

Si les résultats du sondage IFOP-Le Figaro ne rassure pas sur le niveau de civisme de mes concitoyens, il ne signifie pas pour autant que l’opération populiste liant honteusement sécurité et immigration fasse partie aujourd’hui des priorités des Français. L’ensemble des enquêtes des instituts de sondage des derniers mois indique bien au contraire que les questions sécuritaires ne font plus partie des préoccupations les plus urgentes. Dans le baromètre de la SOFRES sur les « préoccupations des Français » daté de juin 2010, la « sécurité des biens et des personnes apparaît au 10ème rang des soucis, loin derrière le chômage et l’emploi qui reste la principale préoccupation, à 74% dans le classement des urgences. Derrière, le financement des retraites poursuit sa progression entamée avec le lancement du débat sur la réforme du gouvernement, avec 58% des réponses les plus fréquentes. Viennent ensuite la santé et la qualité des soins, l’évolution du pouvoir d’achat, la qualité de l’enseignement, les inégalités sociales, l’environnement...

Malgré « l’effet-loupe » liée à une forte médiatisation gouvernementale, ce ne sont pas quelques annonces populaires mais totalement contraires à la tradition républicaine, qui détourneront l’inquiétude des Français sur ce qui les concerne le plus : la crise actuelle et ses conséquences sur eux-mêmes et leur famille.

On peut objecter que dans un contexte de crise sévère et durable, sans solution de sortie rapide, la xénophobie organisée peut justement, comme dans les années 1930, faire jouer à des communautés étrangères (les Juifs à l’époque) le rôle de bouc émissaire et de paravent à l’impuissance des politiques. On n’en est pas là.

 Mais la tentation de l’exploitation politique des «faits divers» existe bien dans le clan Sarkozy. Est-ce un bon calcul ? En matière de sécurité, il a disposé depuis huit ans, de tous les moyens comme ministre de l’Intérieur puis comme Président. Chaque jour, le chef de l’état constate l’échec de sa politique, chaque jour, il s’en indigne (!), Chaque jour, il prend de nouvelles mesures plus répressives que celles de la veille. A chaque fois, les résultats sont loin d’être probants, malgré les discours d’autosatisfaction de sa majorité puissamment relayés dans les médias amis (TF1, le Groupe Hachette, le Figaro...

Deux longues années nous séparent de l’élection présidentielle qui reste à l’évidence la seule obsession du bon Nicolas. De nouvelles surenchères permanentes pourront apparaître à la longue comme un aveu d’échec à des électeurs lassés d’attendre des résultats concrets.

De même, l’agitation sécuritaire perpétuelle ne permettra pas de faire oublier aux Français, la réalité quotidienne de la crise économique. Gageons que les millions de personnes qui manifesteront le 7 septembre prochain sur les retraites, n’auront pas les Roms ou la polygamie comme 1er sujet d’intérêt.

Par ailleurs, les rapports de force politique évoluent et le système Sarkozy s’use. Persuadé jusqu’au bout de son assise présidentielle, le bondissant Nicolas avait été pris de court par le résultat des dernières élections régionales : la Gauche a été très nettement majoritaire et, fait nouveau, le Front National est ressorti de sa boite, dirigée par Marine Le Pen, fille de son père et très habile tacticienne. Reconquérir les franges les plus à droite de son électorat est donc devenue la principale obsession du Président. En enfourchant la rhétorique de la formation d’extrême droite, Nicolas Sarkozy courre un double risque : ne pas convaincre des électeurs ulcérés qui préféreront éventuellement « l’original (le FN) à la copie (Eric Besson) ».

2012 : une présidentielle à haut risque

Quant à imaginer une « ouverture » de la majorité gouvernementale à Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy y perdrait à coup sûr les centristes et ce qui reste de gaullistes à l’UMP.

D’autant que les sondages montrent également que des personnalités de «l’opposition de droite» marginalisées au départ par le rouleau-compresseur de l’UMP, parti présidentiel omniprésent à défaut d’être omnipotent, résistent et font leur trou.

 Dans une récente enquête Ifop pour Sud-ouest dimanche, Dominique de Villepin (10%), François Bayrou (9%) étaient pour une fois testés dans une approche moins « traditionnelle » de l’offre politique. En tenant compte de ces candidats aujourd’hui méprisés par les états-majors des grandes formations, les leaders des partis de gouvernement, Martine Aubry et Nicolas Sarkozy, affichent chacun un modeste score de 26%. Marine Le Pen est crédité d’un 11%, un étiage équivalent à celui de la Gauche de la Gauche. Dans un tel scénario d’extrême dispersion des voix, il n’est pas inenvisageable qu’il arrive à Nicolas Sarkozy, une réédition du martyr infligé en 2002 à Lionel Jospin : sa brutale élimination à l’issue du 1er tour 2002, le second scrutin voyant s’affronter Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen ! Un second tour Martine Aubry/ Marine Le Pen donne des frissons à l’UMP. On en est loin mais l’arrière plan d’une longue crise économique, les inquiétudes multiples de Français, renforcées par les errements tacticiens de Nicolas Sarkozy font de la Présidentielle de 2012, une élection à hauts risques.

Rocard : «on n’avait pas vu ça depuis Vichy»

Le troisième risque que courre Nicolas Sarkozy concerne la dégradation de sa propre image. Plus largement, celle-ci peut écorner la représentation de la fonction présidentielle dans la démocratie française.

 Nicolas Sarkozy a beaucoup de qualités : c’est un homme d’action, il n’hésite pas à bousculer les lignes traditionnelles de la vie politique française, il s’engage à 120% dans sa mission. Il a une haute idée de celle-ci et de sa propre personne. Il a très dignement représenté son pays sur la scène internationale.

 Nicolas Sarkozy a beaucoup de défauts. A part son admiration de la réussite personnelle par l’argent, il ne semble avoir guère de convictions, sinon successives et contradictoires mais toujours affichées avec la plus grande... conviction. Il a tendance à confondre le service de l’État et le sien propre. Il semble ne se fier qu’à ses propres intuitions quand il ne s’agit pas de ses foucades.

Plus généralement, Nicolas Sarkozy ne laisse personne indifférent : c’est une personnalité propre à créer spontanément les plus vives sympathies ou à faire surgir d’emblée les rancœurs les plus tenaces. Il séduit facilement mais il déçoit beaucoup.

Ce portrait est certainement injuste, incomplet et subjectif mais à tout le moins, il faut bien admettre que Nicolas Sarkozy ne présente pas spontanément les qualités d’un rassembleur, d’un fédérateur, d’un « père de la Nation ».

 Il n’est pas responsable de tout : secoué par une crise économique d’ampleur et d’origine nord-américaine, il a été pris à contrepied de ce fait, sur la quasi-totalité de ses promesses électorales. Mais il s’englue tout seul dans une défense forcenée des Français les plus riches, l’affaire Woerth étant le symbole même des rapports consanguins entre le haut appareil d’Etat et la bourgeoisie très, très fortunée.

Le plus grave n’est pas là. Plus que tous ses prédécesseurs de la V° République, il semble avoir oublié qu’il est, au moins sur le papier, le « Président de tous les Français ». Lui, fils d’immigré hongrois, marié à une citoyenne italienne, il n’a eu de cesse d’opposer les « immigrés-étrangers-vecteurs de violence » aux braves citoyens français. Il vient de franchir un pas de plus en opposant les Français « d’origine étrangère » aux autres. Les dernières prises de position présidentielles qu’il s’agisse de la traque des Romanichels, les menaces de perte de la nationalité française pour des citoyens français coupables de délits pour des peines à cinq ans de prison, l’embastillement de parents coupables des errements de leurs enfants mineurs, révèle ne logique folle et inefficace au mieux, au pire, perverse. A moins qu’il ne s’agisse d’un mauvais mélange des deux.

Le pire, c’est que l’exécutif sait pertinemment que les mesures proposées ne sont guère constitutionnelles et risquent fort d’être retoquées. Le constitutionnaliste Guy Carcassonne «doute» ainsi que la déchéance de la nationalité française pour des crimes de droit commun, soit légale au regard de la Constitution de la Ve République. «L’article 1 de la Constitution dit que la République assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion», observe-t-il. Alors pourquoi le Président de la République française, garant de la Constitution, s’amuse-t-il à de telles fantaisies contestables sur le plan juridique, citoyen et moral ?

 La réponse a été donnée de façon abrupte par Michel Rocard. L’ancien Premier ministre socialiste est une figure à part. Père de la deuxième gauche, il a souvent été contesté dans son propre camp pour son « réalisme ». Il a un peu surpris en faisant quelques gestes d’ouverture à Nicolas Sarkozy, au lendemain de l’élection de celui-ci. Mais nul à droite comme à gauche n’a jamais suspecté son indépendance intellectuelle et morale. Ces considérants rendent encore plus acerbe son jugement récent sur Sarkozy dans un interview à Marianne. Extraits :

 «MR - (...) je vous le dis comme je le pense, les intentions sont scandaleuses.

 Marianne : - Vous dites que le président cherche la guerre civile, qu’il veut faire descendre les gens dans la rue…

 M.R. : Je dis qu’il le paiera et qu’il l’aura mérité. (...)Je serai sec et sans bavure : c’est inadmissible. Mais le pire, c’est que ça ne marche pas. Il n’y a d’amélioration ni sur le plan de la sécurité ni sur celui de l’immigration (...) Quand on va chercher l’électorat du Front national, voilà sur quels scandales on débouche. La loi sur les mineurs délinquants passe de la responsabilité pénale individuelle à la responsabilité collective. On n’avait pas vu ça depuis Vichy, on n’avait pas vu ça depuis les nazis. Mettre la priorité sur la répression, c’est une politique de guerre civile. » «Politique de guerre civile». Bigre !

Nicolas mise sur l’incompétence de ses oppositions

Candidat à l’élection de 2007, Nicolas Sarkozy avait gagné par sa fougue, sa détermination. Son programme se réduisait à quelques thèmes forts et aisément simples. « Travailler plus pour gagner plus » : on en rit encore. La sécurité des Français garantie et renforcée. L’aveu d’échec est patent. Une certaine volonté « d’Union nationale » sur les grands sujets de transformation en France. L’ouverture fut une parodie et rarement, un Président français a recueilli à mi-mandat, une si piètre image dans les sondages. Certes, Nicolas Sarkozy peut redresser la barre mais il lui faudra renoncer à des habitudes de gouvernance qui aujourd’hui lui collent à la peau.

Certes, le candidat Sarkozy peut également tout miser sur les faiblesses de ses oppositions. Mais le pari est risqué.