|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Awad assis, derrière son père, dans le véhicule qui le ramène chez lui, ne réalise pas encore ce qui vient de lui arriver. En quelques heures le monde s’est écroulé autour de lui et il a vécu les pires instants de sa jeune existence. Son père, assis à côté du chauffeur, contient difficilement sa rage et n’a aucunement l’intention de lui adresser la parole. Il ne l’a pas fait depuis son arrivée précipitée d’Alger. Awad a juste eu le temps de le croiser dans les locaux de la police des frontières. Quelques instants après il ressort du bureau de l’officier, lui jette un regard de feu, l’empoigne par le bras pour le conduire à la voiture, le pousse sur le siège arrière et ordonne au chauffeur, à côté duquel il s’est installé, de démarrer. Depuis, un lourd silence s’est installé dans le véhicule qui s’enfonce rapidement en territoire algérien. Pourtant tout avait commencé dans la liesse ; il y’a à peine un mois, l’annonce de son succès au baccalauréat coïncidait avec bonheur avec l’anniversaire de son dix-septième printemps. Toute la famille était plongée dans l’allégresse. La mère ne savait plus où se mettre, elle ne cherchait pas à cacher sa fierté et l’étreignait à chaque fois qu’il était à portée de sa main. Elle était si heureuse. Sa sœur, déjà à l’Université, égayait les lieux de ses rires , elle venait de gagner un compagnon avec qui partager les moments heureux et les soucis des études supérieures. Le père, plus réservé, n’arrivait pas, lui non plus, à cacher sa joie. Il était plus léger, plus souriant et donnait l’impression d’avoir retrouvé l’agilité et la prestance d’un jeune homme. La fête s’est installée à la maison et a duré plusieurs jours avec le défilé des parents, des voisins et de tous les amis. La valse des plateaux, garnis de douceurs et de boissons de toutes sortes, n’arrêtait pas entre le salon et la cuisine. Aux repas, on ne comptait plus les convives. Et au bout de quelques jours, armé de son succès , Awad , fit part à sa mère du projet concocté, depuis longtemps, avec ses amis du lycée en cas de réussite au Bac : un séjour entre jeunes sur les plages du pays voisin. Pour la toute première fois, Awad envisage de quitter le pays, seul, sans ses parents. D’un milieu aisé, il a toujours eu droit à des vacances à l’étranger , mais toujours en famille. Et comme tous les adolescents, il rêve de s’émanciper de la protection parentale et de prendre toutes ses responsabilités, ne serait-ce que le temps de brèves vacances. Débordant de bonheur, la mère s’est montrée très persuasive auprès d’un père d’habitude rigide et intransigeant et lui obtint l’accord espéré. Ainsi, en compagnie de deux de ses camarades majeurs, il prit toute sa liberté, pendant deux semaines, sur les côtes voisines où il s’est adonné à la joie de la plage, le jour et des concerts de musique, le soir. Deux semaines de farniente et de douceur de vivre qui avaient pourtant mal commencé avec la longue attente aux frontières, sous un soleil de plomb, sans aucune commodité et dans une indescriptible cohue. Mais la beauté du pays hôte et la disponibilité de ses habitants a vite dissipé l’amertume d’un accueil officiel lourd et froid aux deux frontières. L’hôtel était bien tenu, le personnel serviable et chaleureux, la plage, la piscine et tous les espaces publics très propres. Les repas étaient également très corrects et servis en buffet à profusion. Les clients étaient en majorité des compatriotes. Ils ne cachaient pas leur satisfaction et se comportaient avec beaucoup de correction et de civisme. Il faut dire que les prestations dont ils jouissaient étaient très appréciables et peu coûteuses, comparativement à celles dispensées dans le pays pour un prix bien plus élevé, pour ne pas dire inabordable. L’esprit libre, loin des interdits, de la bigoterie et de la curiosité malsaine, ils savouraient la sérénité pour laquelle certains ont dû faire d’énormes sacrifices. Et pourtant chaque famille arrive d’une région où la nature rivalise de beauté avec les plus belles contrées du monde. Mais … un long soupir paternel le ramène à la réalité du moment. Comment peux t-il expliquer à son père qu’il n’est absolument pour rien dans la tournure prise par les événements ? A la fin du séjour, après avoir plié bagages, il a pris place à côté de son ami propriétaire du véhicule pour rejoindre le territoire national. Après avoir péniblement franchi la frontière du pays voisin, ils se retrouvent rapidement au bout de plusieurs chaînes de voitures qui attendent dans un incroyable désordre à la frontière nationale. La progression ne semble répondre à une aucune règle et Awad ressent déjà l’angoisse qui l’a oppressé à leur sortie du territoire national. Certains conducteurs, une pile de passeports à la main, s’engouffrent dans le bâtiment, puis en ressortent rapidement et démarrent, souriants. Une jeune femme, visiblement journaliste, magnétophone à la main tente d’interroger l’un des heureux resquilleurs, en vain. La débandade est à son comble. Mais son ami le rassure et prétend connaître un moyen de s’en sortir rapidement de cette véritable épreuve qui risque de leur gâcher leurs excellents souvenirs. Un bref moment après le départ de son ami, un agent se présente à eux et leur demande de le suivre. Et c’est dans les locaux de la police qu’il apprend que son ami a glissé un billet de banque dans le lot des trois passeports qu’il a remis au policier préposé au guichet frontalier. A aucun moment , il ne s’est douté de la nature du moyen dont se gaussait son ami. Il l’aurait sévèrement réprouvé d’autant que son père abhorre le passe-droit et lui interdit de se prévaloir de sa filiation pour un quelconque service. Mais, la filiation, il semble que le chef de poste l’ a vite établie. Il connaît le père de Awad et sa haute fonction dans les structures de l’Etat. Il invite l’adolescent à appeler son père et à l’attendre sur place. Pourquoi leur ami s’est-il fourvoyé dans une telle aventure ? A-t-il été encouragé par les manœuvres plus que douteuses auxquelles se livraient des voyageurs qui, aussitôt arrivés, étaient « affranchis » sans aucun égard à la foule condamné à patienter ? Ou l’a t-il déjà fait en d’autres circonstances ? Est-il tombé, par déveine, sur un homme intègre ? Le passeport de Awad dans le lot n’a-t-il pas faussé la donne et déclenché une réaction inattendue ? A l’empressement des agents et leur insistance de réduire la faute commise par les jeunes à une simple bévue, le père de Awad a compris que l’affaire visait un tout autre objectif. Il devait apprendre, lui, que chacun à son talon d’Achille et que sa notoire rectitude pouvait être prise en défaut malgré lui. Awad est tombé à pic pour jouer le rôle de l’arbre qui peut si bien cacher la forêt. |
|