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Réalités et faux repères

par Abdou B.

«L’histoire est nôtre, ce sont les peuples qui la font» S. Allende

Les péripéties ubuesques, parfois paranoïaques parfaitement orchestrées et managées au plan politique, par les médias lourds et de nombreux journaux privés autour de l’EN de foot se sont toutes avérées impuissantes et vides devant le réel. A leur corps défendant, les joueurs, la FAF et l’encadrement se sont vus enrôlés et tenus de remplir des missions qui n’ont rien à voir avec une compétition sportive partagée par toutes les équipes qui étaient dans la course au titre mondial en Afrique du Sud. Partageant, dans un championnat national, du mélange pernicieux et outrancier du sport et la politique qui voit des clubs jouer non pas au foot mais aux comités de soutien à des candidats à la présidence, des milliers de jeunes supporters ont été fourvoyés. Avec le soutien des médias lourds, très loin de l’éthique sportive et de l’objectivité inscrite dans la loi et les cahiers des charges, toujours en vigueur, les Algériens ont été et sont sommés d’avoir des identités et des comportements paranoïaques.

 «Seule représentant de la Oumma arabe!» L’EN, en un tour de passe-passe pathétique a été affublée de costumes délirants et surtout illégitimes. «Ambassadrice du pays», «porte drapeau des peuples arabes», qui ne lui ont rien demandé, «valeureuse représentante» d’une africanité strictement inconnue pour des millions de jeunes qui peinent à se situer simplement dans une algérianité aux origines berbères, arabisée plus tard par l’Islam, l’EN est trop chargée quelques mois avant sa constitution et durant la première étape du mondial durant lequel le dernier quatuor et ensuite le vainqueur ont parfaitement représenté le niveau atteint, la qualité des grands clubs où opèrent les joueurs et un stade de développement dans lequel travaillent justement les grands clubs d’Europe et d’Amérique Latine. En foot, comme en économie, en culture ou dans une gouvernance, il y a très peu d’espace pour le hasard. La Palestine, allégrement trahie et vendue par de nombreux régimes arabes, elle aussi a été confiée aux bons soins de l’EN d’Algérie qui devait «venger» Ghaza des crimes commis par Israël et ses puissants et intouchables soutiens. Dans une parfaite confusion des genres, les supporters algériens se doivent d’être en même temps berbères, africains, arabes, palestiniens alors qu’ils ne savent même pas être sereinement algériens et où certains aspirent à partir.

 Longtemps érigée en tutrice et matrice de l’arabité par de successifs dirigeants et partis algériens, l’Egypte a été descendue d’un piédestal indu, par la rue algérienne après une banale rencontre sportive. Fragile oumma et arabité surfaites, surtout virtuelles! Il a suffi d’un voyage de Hosni Moubarek pour renvoyer à leurs enfantillages populistes et surtout chauvins des commentateurs sportifs, les médias lourds et une foule de journaux privés comparables, à tous points de vue aux hystériques journalistes, élites et politiques égyptiens. Le «conflit» autour d’un match a juste esquissé un début de débat sur cette arabité, pourtant à laquelle les appartenances berbère, africaine et méditerranéenne lui sont antérieures, réelles et plus porteuses pour l’avenir.

 La perte des repères originels, celle des fondements du mouvement national, de la guerre de libération et la perversion structurelle et systémique des principes démocratiques, du pluralisme politique et syndical ont permis la construction de faux repères et de valeurs aux antipodes de la morale, d’un islam simple, apaisé et surtout tolérant, au profit du citoyen et non du «croyant» ostentatoire, agressif, autoritaire, qui passe rapidement à la violence sous toutes ses formes. L’historien de talent qu’est M. Harbi parle à juste raison d’une Algérie «frustrée d’une expérience nationale populaire». Cependant les faux repères, trafiqués par un populisme ringard et rentier, peints par un islamisme entriste, stérile de tout projet national et international à hauteur de celui de la Turquie où justement les élites dites islamistes n’ont d’yeux que pour la science, les savoirs, le développement et pour leurs produits présents aux quatre coins de l’Algérie et ailleurs dans le monde, ne tiennent plus. Ces faux repères jouent un petit quart d’heure pour se fracasser sur un bus caillassé, devant une mondialisation économique et médiatique, des chaînes T.V. satellitaires de pointe, conquérantes qui se moquent des frontières, des censures locales, et des sites Internet où cohabitent la création, les parodies, l’humour et la fête interdites sur les chaînes publiques arabes.

 Le débat dans la confusion née de la victoire de l’EN, non pas sur une autre équipe mais sur les tuteurs de la ligne arabe, de l’arabité et des vertus et valeurs d’une oumma qui se réduit à l’Egypte, des rencontres épisodiques finalisées par des communiqués d’un autre âge, a été rapidement refoulé par l’élimination au premier tour et le retour aux réalités du marché national, de l’été, des vacances inconnues depuis des décennies par des millions de salariés, d’enfants confinés dans des cités devenues pour très longtemps des décharges publiques, emblématiques de réfections, de canalisations installées, recouvertes de terre et laissées en l’état à la merci des vents et des pluies à venir. Et il y a le ramadhan pour lequel il faut se préparer comme pour une épreuve pénible pour essayer de faire bonne figure ou bien dépenser à outrance, selon ses revenus et la taille de la famille.

 La Hollande est arrivée en finale de la Coupe du monde avec seize millions d’habitants et… 18 millions de vélos. Peut-on imaginer en Algérie, dans les villes plates, une circulation de citoyens à bicyclettes avec des voies spécialisées, le casque obligatoire et des espaces prévus pour le stationnement des deux roues? Jamais car c’est une question de culture, d’amour pour la nature, de combat contre les pollutions par le gaz carbonique, par le bruit et pour l’économie d’énergie. Et cette culture s’apprend dès le premier âge. Comme la fakhfakha se démocratise, c’est la course aux 4x4 sur des routes défoncées, des stationnements sous terre même pas envisagés comme virtualité hypothétique. Des élus et des imams refusent de se lever pour l’hymne national. Certains sont suspendus (avec ou sans salaire?). Les autres ne sont nullement interpellés…

 La levée du drapeau et l’hymne national, repères emblématiques et fédérateurs dans un pays moderne doivent être régis par la loi qui fixe les moments, les endroits (en dehors des fêtes sportives internationales), les institutions où l’hymne est joué et où le drapeau est levé. Et la loi fixe les sanctions pour ceux qui méprisent ces symboles là où ils sont autorisés. Mais les faux repères, s’ils occultent, momentanément, les vrais repères, génèrent systématiquement l’anomie et les fausses identités.