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Familles des disparus: Un rassemblement dispersé par la police

par Ghania Oukazi

Deux corps étendus sur le trottoir, d'autres debout mais fortement malmenés par les forces de l'ordre, ce sont là les dégâts générés hier par l'intervention musclée des policiers pour disperser le rassemblement symbolique des familles des disparus.

«Lâchez-moi, je suis une Algérienne, je suis dans mon pays, vous ne pouvez pas m'empêcher de revendiquer mon droit ! », criait une dame d'un certain âge qu'un membre des brigades d'intervention traînait brutalement par le bras pour la forcer à quitter les lieux du rassemblement. Retenue depuis douze longues années par les familles des disparus comme étant une action symbolique qu'elles se sont promis d'accomplir tous les mercredis devant le siège de la Commission nationale consultative de défense et de promotion des droits de l'homme (CNCDPDH), le rassemblement d'hier n'a pu être tenu parce que les forces de l'ordre ont décidé de l'interdire.

 La raison de cette interdiction est que les familles des disparus ont depuis, trois mercredis de suite, ramené quatre femmes étrangères pour manifester à leurs côtés. «On les a filmé», nous a déclaré hier Maître Mustapha Farouk Ksentini que nous avons contacté juste après ce malheureux événement. Les pouvoirs publics ne semblent pas avoir réfléchi longtemps aux méthodes qu'il fallait employer pour interdire ce rassemblement hebdomadaire. L'envoi de forces de l'ordre est toujours la solution la plus simple et surtout à portée de la main des dirigeants. A la vue, hier, de personnes âgées férocement malmenées par les policiers, le rêve de la construction d'un Etat égalitariste semble s'être évaporé. Il semble d'autant l'être sous la pression des nombreux interdits que les politiques justifient aisément par les exigences de l'état d'urgence. Les cris de désespoir des familles des disparus faisaient mal au cœur. Avec les nerfs à fleur de peau en ce premier jour du mois sacré, les policiers n'y sont pas allés de main morte. Hier, la force publique s'est fait méchamment valoir face un petit groupe de personnes qui auraient pu être entendues par des responsables pour lever les équivoques et (ré)expliquer les lois et règlements en vigueur. Dans la cohue provoquée par la dispersion des manifestants, un homme et une femme ont été pris par un malaise. Tous deux, on les voyait étendus, inconscients, sur le trottoir attenant aux jardins de la CNCDPDH.

 L'image n'était pas belle à voir. Ce qui s'est passé hier devant le siège de la commission est une représentation «en direct» d'une scène de violence légalisée. Violence dont le dépositaire n'est autre que l'Etat policier dont le naturel - toujours latent - revient bien vite au galop.

 Les manifestants n'étaient pas nombreux hier pour que leur dispersion nécessite tout cet arsenal sécuritaire. Même qu'ils étaient les mêmes qui étaient habitués à se réunir la matinée de chaque mercredi «contre l'oubli et l'impunité». Il faut rappeler que le rassemblement a été déjà interdit le mercredi d'avant. «L'interdiction est l'incarnation du déni des droits des victimes et du mépris des autorités à leur égard», lit-on dans le communiqué signé par le collectif et SOS familles des disparus. Les signataires affirment être « décidés à ne pas céder devant la répression arbitraire (?) et continueront à user, par tout moyen pacifique, de leurs libertés d'expression et de manifestation, illégalement confisquées.»

«La force d'un homme politique, c'est de convaincre»

Ils précisent encore dans le communiqué que « (?) nombre d'organisations et de citoyens revendiquent un Etat de droit et que notre lutte passe par la recherche de la vérité et de la justice pour les disparus ainsi que pour la défense des droits et des libertés de chacun ».

Maître Mustapha Farouk Ksentini nous a affirmé hier que le fait que la manifestation s'est tenue en présence de personnes étrangères « ne me dérange absolument pas mais la décision d'interdiction vient des policiers ».

 Interrogé sur ce qu'il pense des méthodes employées pour l'interdire, le président de la CNCDPDH soulignera que « je suis contre la violence sous toutes ses formes. Il est évident cependant que si on revient à la loi, elle interdit les sit-in. » Il ne manquera cependant pas de dire que « ce n'est peut-être pas la meilleure manière pour les familles des disparus d'adjoindre des étrangers à leur rassemblement mais je tiens à affirmer encore que je suis viscéralement et foncièrement contre la violence dans quelques circonstances qui soient. »

 Maître Ksentini tient à rappeler qu' « il faut revenir à l'évidence que la charte pour la paix et la réconciliation nationale nous interdit même de parler des disparus. » « Voilà le problème ! », s'est-il exclamé pour faire remarquer que « la charte a force de loi, il faut la relire pour comprendre que le problème des disparus est évacué. Il est clos.»

 Y aurait-il quelque chose à faire d'autre ? lui demandons-nous. « Nous avons fait tout ce qui est en notre possession de faire, nous avons fait reconnaître à l'Etat sa responsabilité, les familles ont été indemnisées à hauteur de 95 ou 96% mais nous ne sommes qu'une commission consultative, nous ne sommes pas le pouvoir », a-t-il dit. L'état des libertés en Algérie lui fait dire que « c'est tout à fait moyen. Il faut revenir à la réalité du terrain, les choses se sont améliorées mais pas suffisamment vite à mon sens, ça ne progresse pas assez vite. » A ceux qui estiment que les libertés ont plutôt régressé, Ksentini répond « je ne pense pas, il y a quand même des améliorations si l'on se réfère aux années 70. On n'est pas au top, ça c'est sûr ! » Il pense qu'« il faut du temps au temps, il y a des comportements inadmissibles certes, parce que les droits de l'homme, c'est une culture qui n'est pas suffisamment répandue ni suffisamment observée.»

 Nous ne manquerions pas au passage de l'interroger sur ce qu'il en est du projet de l'amnistie générale que le président de la République avait évoqué dans le meeting électoral qu'il avait animé en mars 2009 à Tamanrasset pour décrocher son troisième mandat. «Je souhaite qu'il y ait amnistie générale parce toutes les souffrances à travers le monde ont été achevées par une amnistie générale, mais ceci relève des prérogatives du président de la République», affirme-t-il. Seulement, précisera-t-il, «je ne souhaite pas qu'elle soit imposée, il faut un débat». Parce qu'estime-t-il «la force d'un homme politique, c'est de convaincre et non pas de séduire.»