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Belaïd Lacarne (expert CAF et FIFA) «Pour une évaluation objective de l'arbitrage»

par A. L.

Le Mondial 20l0 a pris fin avec un seul point noir, l'arbitrage, ce qui a, du coup, relancé le débat sur le recours à la vidéo. Bon nombre de formations ont quitté la scène avec le sentiment d'avoir été lésées, notamment l'Angleterre, la Côte d'Ivoire, le Mexique et les Etats-Unis. Même la finale, qui devait nous réconcilier avec le football spectacle, fut entachée par des erreurs de l'arbitre anglais Howard Webb. Le public algérien qui a suivi ce Mondial avec un grand intérêt s'est posé des questions à propos de l'éviction de Benouza, alors que ce dernier était de loin meilleur que bon nombre de ses collègues directeurs de jeu. Pour en savoir plus sur la performance des chevaliers du sifflet et du cas Benouza, nous avons sollicité Belaïd Lacarne qui n'est plus à présenter pour éclairer certaines zones d'ombre.

Le Quotidien d'Oran : Avant de faire une évaluation sur l'arbitrage de ce Mondial, nous aimerions en savoir plus sur le cas de Mohamed Benouza?

Belaïd Lacarne: Benouza a été victime de son dernier choix en ce qui concerne la désignation des deux assistants devant former son trio pour l'Afrique du Sud. Le 26 octobre 2006, après la Coupe du Monde en Allemagne, la commission des arbitres de la FIFA a sélectionné 56 trios pour faire partie du groupe des arbitres et arbitres assistants devant officier en Coupe du Monde 2010.

 Seuls 30 trios sont arrivés à s'inscrire sur la liste devant les conduire à Johannesburg. Par la suite, la commission des arbitres de la FIFA a adjoint un troisième assistant pour pallier une éventuelle défaillance de l'un des arbitres du trio, et c'est comme ça que nous avons désigné Chaâbane Maâmar en troisième position, un Egyptien et un Erythréen étant prévus pour être avec Benouza. Un programme très riche a été mis en place par le département des arbitres de la FIFA dans les domaines de préparation physique et technique.

Plusieurs stages étaient programmés à l'intention des arbitres et arbitres assistants durant les trois dernières années, sans oublier qu'un forum sur le site FIFA était ouvert pour le suivi du groupe par les techniciens nommés pour chaque confédération. En outre, les arbitres et leurs arbitres assistants étaient dotés d'un « Polar » pour le suivi de la préparation physique. Cela veut dire qu'à distance, les préparateurs physiques FIFA avaient la possibilité, après lecture des données enregistrées sur le Polar, de déterminer le degré de préparation physique, un point important que Chaâbane n'a pas pris en compte. Au mois d'octobre 2009, la commission des arbitres de la FIFA a décidé de permettre aux arbitres directeurs sélectionnés officiellement de fixer leur choix sur les deux assistants. Benouza a pris option pour Abdennabi Nacer (Egypte) et Chaâbane Maâmar (Algérie), ignorant Oghbamaria (Erythrée) qui, pourtant, était de loin le meilleur, particulièrement sur le plan physique. Pour l'anecdote, un arbitre sélectionné, dont je ne dévoilerai pas le nom, avait prêté son Polar à quelqu'un d'autre pour subir à sa place des tests dans son pays ! Or, les résultats communiqués ne reflétaient nullement les capacités de notre arbitre qui a été rappelé à l'ordre et n'a pas été retenu.

Q.O.: Que s'est-il passé lors de la phase finale ?

B.L.: Tous les arbitres et arbitres assistants devaient passer des tests physiques avant le Mondial. Chaque confédération a organisé les tests dans un pays relevant du Continent. Le Choix de Cap Town ne pouvait pas mieux tomber. Les dates des 7 et 8 mai 2010 étaient alors fixées. La commission fédérale des arbitres que je préside avait pris soin, début 2010, de sensibiliser nos deux arbitres pour un entraînement régulier sur le plan physique, d'où la désignation de Benhamouda de Constantine pour Chaâbane, et de Lahouari BelKacem d'Oran pour Benouza. A la date fatidique du 7 mai 2010, les deux arbitres assistants Abdennabi et Chaâbane n'ont pas réussi les tests physiques obligatoires pour participer à la phase finale de la Coupe du Monde. C'est ainsi que le trio de Benouza a été retiré de la liste des trios, car n'ayant pas satisfait aux critères et obligations de la FIFA, lesquels étaient connus à l'avance par tous les participants. Il faut aussi rappeler que nos deux arbitres assistants avaient échoué également lors de tests physiques programmés à Singapour en octobre 2008. Or, tous les arbitres présents aux tests physiques à Cap Town avaient signé un document attestant leur bonne forme physique et ne présentant aucune blessure ou autre handicap. Voilà les raisons objectives sur l'éviction du trio de Benouza.

Q.O.: Quelles sont vos impressions sur les prestations des arbitres ?

B.L.: D'une manière générale, les performances des arbitres étaient bonnes, voire même très bonnes parfois. Nous avons noté une nette amélioration du travail des arbitres assistants dans l'interprétation du hors-jeu, à l'exception d'une erreur de jugement du but validé de l'Argentine contre le Mexique. Et pourtant, la position hors-jeu au départ du ballon du joueur Tevez était flagrante. Etait-ce un mauvais placement ou un manque de concentration de l'arbitre assistant ? Ceci dit, l'arbitrage a connu un dimanche noir (même journée que la rencontre Argentine-Mexique) lors du but non validité de l'Angleterre contre l'Allemagne, sur un tir appuyé de Lampard, alors que le ballon avait entièrement dépassé la ligne de but. La commission a estimé que l'arbitre assistant et son directeur avaient des circonstances atténuantes à faire valoir. Pour l'assistant, et les images le prouvent, il était dans la position devant contrôler le hors-jeu sur une passe de Lampard vers un coéquipier. Mais ce dernier, au dernier moment, a préféré tirer directement, ce qui n'a pas permis à l'arbitre et son arbitre assistant de déterminer si le ballon a dépassé entièrement la ligne de but ou pas. Au vu de son positionnement sur la même ligne que les défenseurs, il était impossible de prendre une décision correcte. D'ailleurs, ce genre de situation demeure le point le plus difficile à juger objectivement pour un arbitre assistant. Lors de ces rencontres de groupe, nous avons aussi enregistré des décisions controversées, Lannoy (France) n'avait pas vu un double contrôle du bras du Brésilien Fabiano pour marquer le deuxième but contre la Côte d'Ivoire. De son côté, Coulibaly (Mali) a refusé un but, valable à mon sens, aux Etats-Unis en fin de partie contre la Slovénie. Ce sont les points négatifs de ces rencontres de groupe.

Q.O.: Rashan Irmatov et Viktor Kassai ont été les révélations de cette Coupe du Monde...

B. L.: Possédant des capacités techniques réelles de lecture et d'anticipation, ces deux arbitres ont démontré une parfaite connaissance du jeu. Ce constat n'a rien d'étonnant, puisque Irmatov, avant d'entamer sa carrière d'arbitre, a été un joueur professionnel dans son pays, l'Ouzbekistan, avant qu'une blessure ne mette fin prématurément à sa carrière de joueur. Irmatov a connu sa première sélection en phase finale de Coupe du Monde des U-20 en Hollande, en 2005. Quant à Kassai, je l'ai connu au tournoi du Golfe Koweit 2003. Pour rappel, Irmatov a été l'arbitre le plus utilisé dans cette Coupe du Monde (5 rencontres, dont un quart de finale et une demi-finale). Bravo donc pour ces deux arbitres!

Q.O.: L'arbitrage de l'Anglais Howard Webb a été très discuté lors de la finale. Qu'en pensez-vous ?

B.L.: Nous pouvons reprocher à Webb son laxisme sur le contrôle des joueurs lors de cette finale. Il nous avait habitués à mieux, dans la mesure où beaucoup de fautes et d'anti-jeux n'ont pas été sanctionnés en temps opportun. Nous citerons les fautes caractérisées commises sur Iniesta et Xavi par, respectivement, Van Bommel et Jong. Ces deux situations méritaient largement le carton rouge direct, et cela aurait permis à l'arbitre d'asseoir son autorité et freiner l'ardeur des joueurs néerlandais responsables d'avoir gâché cette finale sur le plan du jeu. Webb a voulu certainement gérer cette première mi-temps sans tirer de carton rouge, pour ne pas être responsable d'avoir pénalisé l'équipe néerlandaise. On ne peut pas lui reprocher d'avoir brandi 14 cartons jaunes, mais cela n'a pas suffi. Il faut préciser qu'au départ, les joueurs ne lui ont pas facilité la tâche.

Q.O.: Que pensez-vous de la technologie au service de l'arbitrage ?

B.L.: L'objectif de la FIFA est d'améliorer la qualité de l'arbitrage avec plus de professionnalisme, et des expériences ont eu lieu lors de l'Europe à League avec l'utilisation de 5 arbitres afin de mieux maîtriser la surface de réparation et la ligne de but. Lors de la réunion du mois de mars 2010, «l'international Foot Ball Association» a fermement rejeté la technologie sur la ligne de but, préférant un arbitrage à visage humain. Le Président de la FIFA a rappelé que, quelle que soit la technologie mise en œuvre, la décision reviendra toujours à un être humain.