Une étrange affaire rapportée par des journaux : des imams
ont refusé de se lever lors de la diffusion de l'hymne national, avant-hier,
dans «la maison de l'Imam», sous le nez de leur ministre. Selon tous, ils
seront sanctionnés, relevés, diffusés et éparpillés dans la nature. On peut
s'arrêter donc là, ou creuser dans l'air pour comprendre cette étrange affaire
qui mêle polythéisme, nationalisme, hiérarchie, ex-Fis et indiscipline
professionnelle. Pendant que tout le pays fête le retour au nationalisme par le
retour au drapeau même après le retour perdu de l'équipe nationale, des
Algériens, imams de leur état, décide de faire le chemin inverse en allant du
drapeau vers le califat. La raison ? Un crime d'Etat commis par le Pouvoir
d'abord : chez nous, même après la mort verticale du Fis, le Pouvoir a décidé
de tuer les démocrates plutôt que les islamistes qui ont failli le tuer. La
raison ? Il préfère les Algériens croyants plutôt que les citoyens. Pour tout
ce qui concerne les croyances fondamentales de ce pays, on est dans le
mi-chemin mou : on n'est pas une démocratie mais pas une dictature, on n'est
pas une république mais on n'est pas une monarchie, on n'est pas un califat
mais on n'est pas une république laïque. On est. Et, selon les idéologues du
Pouvoir, l'être vaut mieux que le néant. D'où, à la fin, une indécision de fond
: faut-il se lever devant un hymne ou se prosterner devant Allah ? La question
est fausse car la croyance en une transcendance n'implique pas une révolte
contre le nationalisme, la terre, le corps ou le désir. Sauf quand on est
malade, frustré ou laid de l'intérieur. Mais si des imams ont cru bon de
prouver à Dieu qu'ils le préfèrent à un hymne, c'est parce que dans leurs têtes
et dans la tête de millions d'Algériens et même «d'arabes», la notion d'Etat,
de pays, de territoire ou de nationalisme sont des notions faibles, affaiblies
et presque dissoutes. Même le Pouvoir ne croit pas en eux. Ce qui reste et
persiste parce que non dissolus par l'histoire des décolonisations, c'est le
califat, la Oumma, la démocratie élitiste de «la Khassa» (Elite) supérieure à
la «Âmma», (la plèbe). Et cette confusion des concepts est encore plus
accentuée en Algérie où l'absence d'une élite religieuse efficace et «éclairée»
a conduit à nous fournir ce genre d'imams en révolte assise contre un chant, et
à nous assurer un islamisme en arme mené par des tôliers.
Et tant que le
Pouvoir n'a pas encore tranché dans ses idéologies de fondations, on produira
encore et encore ces mêmes bugs d'une fausse alliance entre la dictature molle
du Pouvoir et l'islamisme dur mais rusé de l'attente stratégique du renard
barbu. Le Pouvoir continuera donc à diffuser le Adhan à l'ENTV mais la Mosquée
refusera de diffuser l'hymne ou de se lever pour lui, entre ses prières. La
scène de ces imams en révolte assise, a rappelé à tous les premiers jours du
Fis. A raison : rien n'a été tranché ou soldé depuis ces jours néfastes. Rien.
Dans ce pays, on peut encore trouver des imams qui refusent de construire le
plus grand pays d'Afrique, cela n'empêchera pas Bouteflika de leur faire les
yeux doux en lançant le chantier de la plus grande mosquée du continent. A la
fin, certains se sentent en droit de ne pas se lever pour l'hymne du pays qui
les paye avant la mort, quand il voit un Président venir à pied dans les
zaouïas ou les mosquées solliciter la dissolution d'une étrange culpabilité.
Conclusion ? On n'a pas fini avec l'islamisme ostentatoire. On lapide déjà les
«mangeurs du ramadan» même quand ils sont Chinois, on refuse de saluer un
drapeau ou un hymne et on attend sa paye à la fin du mois et la mort heureuse à
la fin de rien du tout. Un hymne national est-il une idole koreichite ? Un
chant collectif ? Une constante nationale ? La signature vocale d'une nation ou
un arbre mort ? C'est une idole sonore, ont répondu ces imams coupables
présumés. C'est dire où nous en sommes et vers où nous allons encore.