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La récente
proposition de l'Association américaine de psychiatrie de modifier son manuel
officiel de diagnostic ? le Manuel diagnostic et statistique des troubles
mentaux (MDS), souvent appelé la « bible de la psychiatrie » - pourrait
discréditer le diagnostic psychiatrique plus que d'y contribuer.
Le MDS spécifie les symptômes qui permettent d'établir un diagnostique pour chaque trouble mental, définissant ainsi de fait ce qui est psychologiquement normal et anormal aux Etats-Unis ? et de plus en plus, pour une grande partie du reste du monde. Réviser les critères de diagnostique du MDS pour la cinquième édition à paraitre (MDS-5) est une lourde responsabilité. Une ligne entre normalité et déséquilibre trop floue pourrait entrainer des diagnostiques erronés pour les individus et entrainer des traitements inutiles et potentiellement dangereux. L'histoire du MDS révèle nombre de ce genre d'erreurs de surcharge de paramètres. Mais si les choses sont définies de façon trop étroite, les individus pourraient ne pas recevoir l'aide nécessaire. Bien que les psychiatres soient plus préoccupés d'identifier les patients potentiellement en besoin de traitement et moins d'éliminer excentricité normale et désespoir du diagnostique, il est crucial à n'importe quelle société qui respecte les variantes humaines et le sens des responsabilités morales de l'individu de distinguer une souffrance normale et de l'excentricité du trouble mental. Ce sont de délicates questions d'analyse conceptuelle. Pourtant, les psychiatres qui ont formulé les propositions de modifications du MDS-5 ne sont pas formés à l'analyse conceptuelle, et bien que largement avertis, ils ont traité la question de la normalité par rapport au trouble d'une manière ad hoc non méthodique. Il en résulte une forme d'erreur professionnelle conceptuelle : une négligence intellectuelle résultant de la formulation de critères de diagnostique invalides qui diagnostiquera par erreur des individus normaux comme étant déséquilibrés. Voici quelques uns des nouveaux troubles proposés: (1) Troubles de l'alimentation. Si vous mangez en excès une fois par semaine pendant trois mois, de façon totalement indisciplinée, et que vous sentez trop ballonné, et déprimé, embarrassé et dégouté de vous-même, vous pouvez être diagnostiqué. Apparemment, les personnes qui sont mal à l'aise avec le fait de ne pas pouvoir contrôler leur alimentation lorsqu'ils se retrouvent devant un buffet de fête sont déséquilibrées. (2) Troubles de l'accumulation. Si vous refusez de jeter des objets que d'autres (une épouse, disons, ou un clinicien) considèrent sans valeur, et par conséquent si vous encombrez votre espace de vie, que cela vous déprime ou que vous développiez ce que d'aucuns qualifient d'environnement malsain, on peut vous diagnostiquer. Cette catégorie sera bien acceptée par les maniaques de la propreté agacés par des partenaires acquisitifs. (3) Trouble de l'hypersexualité. Si vous êtes fortement sexuellement actif pendant six mois, d'une manière qui semble incontrôlée et que cela finit par vous déprimer, et que vous utilisez votre sexualité pour vous décharger de votre stress et de votre ennui ou sans considération aucune pour les conséquences émotionnelles sur autrui (phénomène anciennement qualifié de ?goujaterie'), on peut vous diagnostiquer. Ce trouble part du principe que se servir du sexe pour soulager son malheur, et se culpabiliser pour cela, peut aussi être diagnostiqué. Les autres propositions du MDS-5 sont une porte ouverte à d'autres abus. Parier de manière pathologique serait classé dans une nouvelle super-catégorie des addictions comportementales ; ceci permet d'envisager que l'addiction à l'internet, et bien d'autres comportements, pourraient aussi être considérés comme pathologiques. De même, une façon de penser libre ou lunatique, qui n'est pas aujourd'hui considérée comme un trouble, mais qui indique un risque prononcé de développement d'un trouble psychotique, serait classé dans la catégorie des troubles de risque psychotique. Ceux chez qui on aura diagnostiqué ce genre de disposition seront soignés avec des traitements puissants, bien que la plupart ne développeront jamais de troubles psychotiques ? établissant un précédent dans la confusion entre les facteurs de risque et les troubles à proprement parler. D'autres modifications menacent le bien-fondé de catégories existantes. Le MDS par exemple, distingue aujourd'hui la dépendance ? essentiellement l'addiction (un trouble) ? de l'abus de substances, une catégorie plus faible qui inclus des critères douteux comme la conduite d'un véhicule sous l'effet de substances ou se disputer avec des tiers à propos de l'utilisation de substances. Le MDS-5 propose d'éliminer la catégorie la plus faible des « abus », mais seulement en combinant ses critères douteux avec les critères actuels de la dépendance pour former une catégorie unifiée intitulée troubles liés à l'utilisation de substances, et ramenant le nombre de symptômes nécessaires au diagnostique de trois à deux. En conséquence de quoi, la dépendance à des substances disparaitrait en tant que catégorie valide. Selon cette proposition, s'il vous arrive occasionnellement de conduire votre véhicule pour rentrer chez vous après une soirée arrosée et que vous vous querellez avec votre épouse à ce propos, vous souffririez d'un trouble de l'utilisation d'alcool. La vacuité de la catégorie d'abus déteindra sur la catégorie des dépendances. Un second exemple : on sait depuis l'Antiquité que les gens normaux qui ont récemment subi une perte significative ? particulièrement la perte d'un être aimé ? peuvent montrer les mêmes symptômes (tristesse, insomnie, fatigue, perte d'intérêt pour les activités quotidiennes, perte d'appétit) que ceux indiquant un trouble dépressif majeur. Le MDS supprime donc le deuil récent du diagnostique de la dépression à moins que des symptômes plus extrêmes suggèrant plus qu'un intense chagrin n'apparaissent. Par contraste, le MDS-5 propose d'éliminer l'exclusion du deuil. Quiconque montre des symptômes dépressifs pendant une période courte de deux semaines après avoir subi une perte significative serait diagnostiqué avec un trouble dépressif majeur, ce qui donnerait un fort caractère pathologique au chagrin intense normal. De plus, certaines catégories actuelles visiblement invalides n'ont pas fait l'objet d'une révision. Si par exemple vous être triste pendant deux semaines et que vous démontrez certains symptômes associés comme la fatigue, l'insomnie ou la perte d'appétit, et que vous être déprimés ou éprouvez des difficultés au travail ou dans d'autres situations, alors vous souffrez d'une dépression asymptomatique. Mais la recherche montre que presque toutes les personnes ressentant pendant deux semaines une certaine tristesse se sentent déprimées et ont tendance à avoir des difficultés dans leur activités quotidiennes ; donc cette catégorie classe effectivement la tristesse normale prolongée dans la catégorie des troubles mentaux. Toutes les catégories citées précédemment recouvrent des troubles réels. Le problème est que les critères sont décrits de manière tellement générale qu'ils finissent presque par donner un caractère pathologique à des troubles qui n'en sont pas. Les individus normaux ont souvent besoin et méritent qu'on leur prête assistance, mais la décision concernant le type d'assistance qu'ils devraient recevoir ne devrait pas être compromise par un étiquetage incorrect de leurs conditions en troubles mentaux qui suggèrent que quelque chose ne tourne pas rond chez eux. L'actuel système de diagnostic fondé sur les symptômes fut développé en partie en réponse aux critiques qui prétendaient que la psychiatrie ne consistait uniquement qu'en un contrôle social des comportements indésirables travesti en médecine. En ne parvenant pas à distinguer de manière adéquate le chagrin normal et l'excentricité du trouble, les propositions du MDS-5 menacent d'augmenter de manière considérable les abus que le MDS prétendait éviter. Une nouvelle vague anti-psychiatrie pourrait bien s'abattre à nouveau. Traduit de l'américain par Frédérique Destribats * Enseigne le travail social et la psychiatrie à l'université de New York. |
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