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Dans une prestigieuse wilaya de l'extrême Ouest, un spectacle
affligeant : un wali a cru bon de piétiner une sorte de «réserve» ? Yellow
Stone ? offerte par Dieu et la géologie quand elle épouse la botanique, en y
coulant une plateforme de ciment et en y érigeant un parc à loisirs «made in
China». A la place de la splendide vue haute qui avait la ville à la cheville,
les habitants ont désormais droit à une sorte de réserve en carrelage, avec une
sorte de mausolée affreux qui fait briller, la nuit, des ampoules multicolores,
à la façon des vieux postes cassette des années 80. Au loin, là où il y avait
des arbres et des rochers dessinés par la lente patience des minerais, on a
droit à des gardes communaux rébarbatifs (le chroniqueur les a entendus
expliquer à des touristes européens qu'il valait mieux s'en aller car
«l'endroit est dangereux»), des kiosques laids, une sorte de style
mauresco-appels d'offres?etc. qui habille le tout avec sa grimace nette. En un
mot, du kitch. Car le kitch est le maître mot de l'esthétique officielle en
Algérie : on en voit même à la Présidence, dans l'esthétique du mobilier
urbain, dans les affreux portraits de chouhada peints à l'entrée des villages
et des villes moyennes en allant sur Alger, dans les mairies, à l'ENTV surtout.
Le pire est que ce kitch est une institution : il est imposé souvent par des
walis au sens artistique grossier, à l'antipode de l'évolution génétique des
Grecs d'autrefois, dans des villes qu'ils iront défigurer en un mandat ou deux
avant de partir ailleurs lancer des trottoirs et interdire des marches, sans jamais
avoir pensé, au moins une fois, à demander pardon à la biodiversité. Le kitch
se voit dans les cérémonies officielles (fleurs en plastique, costumes mal
taillés des cadres, repas mal servis et peintures des édifices publics souvent
aux couleurs de bonbons non comestibles). C'est une sorte d'art national
authentique (la fameuse El-Assala) qui s'impose par un vaste réseau de hauts
cadres, de bureaux d'études, d'instructions verbales de walis à qui on essaye
de plaire, d'artistes de «maisons de culture» à qui on offre une entrée de
village à défigurer, et de manque du sens du beau, trait principal de «notre
culture nationale» qui n'existe pas. Pour avoir une esthétique, en effet, il
faut avoir une civilisation sous le nez, et la nôtre n'a jamais dépassé le
stade du tatouage qui n'est pas l'épopée homérique. Le sens de l'esthétique est
une catastrophe nationale chez nous : on n'en a pas. On peut reconnaître un mur
syrien, une façade marocaine ou un plat libanais mais un pont algérien, seuls
les Chinois peuvent en revendiquer la paternité possible. Pour le reste, rien,
et ce n'est pas uniquement la conséquence de trop fréquentes colonisations. Le
socialisme et l'illettrisme militant y sont pour beaucoup.
Et en revenant à l'histoire de cette prestigieuse vue sur ville défigurée par un wali sans sens du beau, on touche du doigt à l'essentiel : les villes et les architectures algériennes sont encore au stade oral de la dépendance des humeurs d'un wali ou d'un président (qui, d'un geste, peut faire raser une mosquée ancestrale ou refuser la vie à un site archéologique patrimoine de l'humanité. Un wali ayant même demandé à son DLEP de faire vite de raser les vieux immeubles d'un quartier ancien, avant qu'ils ne soient classés monuments historiques). Un wali qui dessine parfois des ronds-points lui-même ou les refait comme des rideaux de salon chez lui, les impose ou refuse de les payer, opte pour un lampadaire et pas un autre, repeint la ville selon son goût ou pas. Une sorte de dictature esthétique à laquelle les bureaux d'études, les DLEP, les entreprises de réalisations ou les revendeurs de pots de peinture s'empressent de répondre toujours dans le même ordre du kitch, chouhada mal repeints sur les façades, affreuses arcades, .etc. D'ailleurs, même les places algériennes, les rues et les ponts n'ont le choix qu'entre dix ou vingt noms et prénoms de martyrs en boucle ou dates nationales en série. Les places «05 Juillet» sont partout, autant que les rues «Larbi Ben M'hidi» ou les mosquées «Abou Bakr». D'ailleurs et pour finir, il n'y pas plus hideux que les mosquées algériennes : rien de l'architecture dite musulmane du Moyen-Orient importée, ni du prestige de notre Islam maghrébin à l'époque intermittente de sa force. Les mosquées algériennes, quand elles ne sont pas des hold-up d'églises, sont hideuses, laides, souvent inachevées, avec des minarets en briques nues en attente de revêtement depuis Chadli, mal éclairés et sans aucun sens du beau quand ils s'élancent vers le ciel. Rien que des carcasses. En Algérie, rien, sauf le tracé des frontières, ne prouve la venue au monde d'une Algérie culturelle et esthétique depuis l'indépendance : la culture nationale étant une erreur car on ne peut s'imposer que l'on crée l'universel et qu'on arrive à le revendre comme étant le sien. Chez nous, pour le moment, on a le choix entre le laid officiel, l'esthétique coloniale ou le parpaing de l'indépendance et ses villages pas beaux. Le chroniqueur se souviendra même longtemps de cette étrange remarque d'un autre ancien chroniqueur lorsqu'ils ont traversé tous deux des villages d'autoroutes reconnaissables à leurs centres de «vieux villages» et à d'affreuses extensions LSP sur les champs autrefois beaux : «Voici ce qu'on a fait avec seulement 50 ans d'indépendance. Avec 50 autres années de plus, il ne restera rien, on va tout détruire». Oui. Car si nous avons réussi l'indépendance, l'école ou un peu la Santé et la chanson de l'hymne, en ce qui concerne le Beau, nous sommes en recul : même dans les villes, les femmes algériennes sont mal habillées (foulard orange, fausse djellaba chinoise, rien du lumineux haïk d'autrefois), les jeunes s'habillent mal, les vieux ne se soucient plus de leurs apparences et, même durant les fêtes, le peuple préfère la paire de sandales impolies à la belle djellaba des circonstances. Le pays n'est plus beau et on comprend que personne ne veuille l'épouser ou lui rendre visite en touriste. |
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