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Dans cet entretien passionnant, Mourad
Preure, expert pétrolier, spécialiste en stratégie économique et directeur du
cabinet Emergy, estime que l'Algérie doit éviter de courir vers la monétisation
de ses réserves et doit se placer dans la transition énergétique en cours.
Les ressources fossiles sont en voie de déclin et l'Algérie ne doit pas rater le tournant. Explications à lire avec beaucoup d'attention. Maghreb Emergent: Un nouveau ministre de l'Energie a été installé et un staff dirigeant a été mis en place à Sonatrach. Cela peut-il constituer un signal fort à l'adresse des partenaires étrangers de l'Algérie après les nombreux scandales qui ont secoué la plus importante entreprise du pays ? Mourad Preure : Je pense qu'il était nécessaire qu'un signal fort soit émis et que la volonté des pouvoirs publics de doter Sonatrach d'un nouveau management convaincant soit montrée. La nouvelle équipe doit être en mesure d'opérer le redressement de l'entreprise. Quatre mois sans management, c'est énorme pour une compagnie pétrolière. Donc il était urgent qu'un nouveau management soit mis en place à la tête de Sonatrach. Selon mes informations, le métier a bien accueilli ces décisions. La nouvelle équipe a beaucoup de travail. Il s'agit entre autres de rassurer aux niveaux interne et externe ainsi que de recadrer la stratégie de l'entreprise. Quels changements sont nécessaires pour Sonatrach, quels sont les dossiers urgents à traiter ? Le cœur d'activité d'une compagnie pétrolière, c'est l'amont. C'est donc sur l'exploration et la production qu'il va falloir opérer des changements. Sonatrach doit renforcer ses activités amont. D'autre part, il faut que l'entreprise protège ses débouchés en matière de gaz naturel. Ces débouchés, l'Europe du Sud notamment, sont menacés par de nouveaux acteurs. Tout cela dans un contexte de crise et de déprime de l'industrie gazière et pétrolière. Cette industrie est en proie à des convulsions. On est en pleine mutation et il faut que Sonatrach soit en mesure de manœuvrer selon ces nouveaux enjeux. Dans un pareil contexte, l'Algérie ne risque-t-elle pas de perdre sa place de fournisseur stratégique d'énergie à l'Europe ? Je suis quelqu'un qui est par nature optimiste. L'Algérie est une source traditionnelle de l'Europe en matières énergétiques, elle a montré sa fiabilité même dans les moments les plus difficiles de son histoire. Durant la période du terrorisme, l'approvisionnement de l'Europe en gaz et en pétrole n'a jamais cessé alors qu'en 2009 la source russe a connu 13 jours d'interruption a cause du conflit commercial avec l'Ukraine. Les clients européens font confiance à la source algérienne. Cependant, il y a de nouveaux entrants. Il y a aujourd'hui cent milliards de m³ de GNL en trop sur le marché, soit le quart de la capacité de liquéfaction mondiale. Le Qatar veut trouver des débouchés sur le marché européen. D'un autre côté, la Russie a perdu des parts de marché en 2009 parce que sa production a baissé de plus de 16%. La Russie est en train d'accorder des facilités à ses clients, c'est-à-dire des autorisations de céder le gaz vendu à long terme au prix du marché spot, ce qui fait que le marché européen est concurrentiel actuellement. Le départ de Chakib Khalil et la venue d'un nouveau ministre de l'Energie sont-ils une opportunité pour une nouvelle stratégie énergétique pour l'Algérie ? Aujourd'hui la grande question est liée au renforcement de notre amont dans le secteur énergétique, soit une politique conservatrice des réserves. Nous avons 16,7 ans de réserves prouvées de pétrole et 54 ans pour le gaz, ce qui est peu. Il faut surtout éviter de monétiser inutilement nos réserves. Donc, il faut éviter de vendre du pétrole pour placer l'argent dans des banques. Il faut aussi renforcer nos gisements en reprenant au plus vite les activités d'exploration, sinon nous risquons d'avoir un trou d'air dans nos exportations de gaz. Sur le plan managérial et technologique, Sonatrach doit impérativement rattraper les retards. Pour ce qui est du long et moyen terme, il faut que Sonatrach soit un acteur qui pèse sur la scène énergétique internationale, elle a tous les moyens pour y arriver. Il faut que l'Algérie s'engage également dans le processus actuel de transition énergétique et se placer comme un partenaire de choix. Les pays industrialisés sont en train de passer d'un modèle énergétique fossile, donc carboné, vers un modèle non fossile non carboné. Les énergies renouvelables vont prendre de plus en plus de place dans la vie quotidienne des pays développés. L'utilisation des énergies fossiles se verra obligatoirement baisser progressivement. L'Algérie peut profiter du fait quelle est un partenaire incontournable de l'Europe pour imposer sa participation dans ce processus de transition énergétique. Elle pourra à travers le solaire se placer comme un partenaire de choix pour la puissance occidentales. Je pense que se fixer par rapport à ces objectifs stratégiques, sera un des chalenges du nouveau ministre de l'Energie. L.Af : La révision du système fiscal des hydrocarbures doit-elle être faite tel que demandé par les compagnies énergétiques présentes en Algérie ? M.P. : La prospectivité du domaine minier algérien est reconnue. Je pense qu'on découvrira encore de nouveaux gisements. La fiscalité qui a été instaurée avec la loi de 2005 a été remise en cause par les entreprises étrangères parce qu'elle permet un écrémage des profits au-dessus des 30 dollars le baril, mais en dessous des 30 dollars le baril il y a une autre pression fiscale. L'impôt ne devrait pas être rétroactif comme c'est le cas actuellement et c'est ce que les compagnies remettent en cause. Le caractère incitatif de cette loi de 2005 doit peut-être être revu. Je trouve que la loi 86-14 était tout à fait convenable et avait obtenu d'excellents résultats. Les plus grandes découvertes qui ont été faites ces dix dernières années étaient sous la réglementation de la loi 86-14 où les compagnies intervenaient dans le cadre de contrats de partage production ce qui était plus incitatif. L'aspect juridique et fiscal de l'exploration et l'exportation des hydrocarbures figurera en bonne place parmi les dossiers à traiter par le nouveau ministre de l'Energie. Les difficultés de BP suite à la catastrophe survenue dans une de ses installations offshore aux Etats-Unis, nous interpellent-elles ? L'industrie du pétrole aujourd'hui est en train d'évoluer aux frontières de ses compétences technologiques. On voit aujourd'hui un géant comme BP rencontrer des problèmes opérationnels qu'il est incapable de traiter. L'irruption d'un puits sous une tranche d'eau de 2000 mètres est devenue un problème impossible à résoudre parce que BP n'a tout simplement pas la maîtrise technologique nécessaire pour affronter ce genre de problème. La technologie est aujourd'hui au cœur de l'avantage concurrentiel. C'est pour cela qu'il faut investir dans la technologie. Les compagnies les plus compétitives sont en train de découvrir de nouveaux procédés opérationnels qu'elles testent en temps réel. On a par exemple les systèmes de production sous-marins télécommandés depuis la surface. Bien sûr cette histoire interpelle Sonatrach qui doit s'organier autour de la technologie. Quand on voit qu'un géant comme BP peut disparaître à cause d'une technologie qui le dépasse qu'en est-il pour Sonatrach ? On ne peut pas se contenter d'acheter la technologie. Les gisements vieillissent et c'est la maîtrise d'une technologie de plus en plus sophistiquée qui fera la différence entre une compagnie qui a de l'avenir et une autre qui n'en a pas. |
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