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La coupe du monde
de football a confirmé la place prépondérante acquise par la chaîne Al-Jazeera
dans le domaine du sport, après l'information. En attendant un projet algérien
concurrent.
Al-Jazeera est devenue omniprésente dans la vie quotidienne des Algériens et des Arabes de manière plus générale. Tout le long de l'année, elle rythme notre accès à l'information internationale et à l'analyse qui l'accompagne. Les prêches de Kardhaoui dictent la ligne religieuse orthodoxe, et les polémiques organisées par le fameux Fayçal Kacem nous révèlent nos contradictions, pour ne pas dire nos absurdités. Khadjidja Benguenna nous offre le modèle d'une journaliste issue du pluralisme algérien reconvertie dans l'islamisme soft, et Ahmed Mansour nous rassure en nous offrant une image apaisée et arrangée de notre histoire récente. Mais si Al-Jazeera est un formidable produit médiatique, au point d'être plus connue que le pays dont elle est issue, c'est aussi un produit commercial, qui commence à faire de l'ombre dans de nombreux domaines. Car la chaîne qatarie ne se contente pas de l'information et ses dérivés. Elle est devenue un acteur de premier plan du football dans le monde arabe et en Afrique. Elle est devenue si envahissante qu'il faut désormais passer par Al-Jazeera pour regarder un match de l'équipe nationale de football ! Le public égyptien a, lui aussi, vécu cette épreuve, lors de la dernière coupe d'Afrique des Nations. Et pour les années qui viennent, avec la marchandisation accélérée du sport et la poussée des chaînes satellitaires, la tendance risque encore de s'accélérer. Il faudra bientôt des cartes Al-Jazeera pour suivre des matches de championnat d'Algérie, car si la fédération Algérienne de Football met cette compétition sur le marché, comme devrait l'y pousser le passage au professionnalisme et l'obligation de faire rentrer de l'argent, la télévision algérienne risque fort de perdre le marché au profit de la chaîne qatarie. De là à trouver dans la chaîne qatarie un bouc émissaire pour une partie de nos malheurs, il y a un pas que nombre de commentateurs ont franchi, avec trop de facilité, semble-t-il. Car que reproche-t-on, finalement, à Al-Jazeera ? De transformer le football en une affaire commerciale ? La mutation s'est faite bien avant Al-Jazeera, qui n'a fait qu'intégrer un système et essayer d'en tirer profit. De se faire de l'argent sur le dos des Algériens, selon une formule aussi facile que populiste ? Ce n'est guère convaincant. En vérité, Al-Jazeera est un miroir qui renvoie à l'Algérie son échec dans le domaine de la télévision. Elle est le révélateur de nos incompétences et des virages ratés par l'Algérie durant les deux dernières décennies dans le domaine de la télévision. Al-Jazeera elle-même est née, rappelons-le, pendant une période où la télévision algérienne entamait son reflux, après l'euphorie de l'après 1988. Depuis, la télévision algérienne n'a fait que reculer, pendant qu'Al-Jazeera s'installait comme média numéro un du monde arabe, et un des leaders de l'information mondiale. La bataille fut rude. La compétition a opposé plusieurs groupes arabes, qui ont finalement signé la paix en se partageant le marché. Al-Jazeera s'est spécialisée dans l'information et le sport, et racheté les droits relatifs aux grandes compétitions internationales détenus auparavant par le groupe ART du fameux Cheikh Salah, cousin du Roi d'Arabe Saoudite. Pendant que se jouait cette bataille de l'influence médiatique, l'Algérie clonait sa première chaîne, en se donnant l'illusion qu'elle créait un empire télévisuel. D'éminents spécialistes se mettaient au service du prince pour lui expliquer comment maintenir le contrôle de l'expression politique, alors que le monde changeait de siècle. Art, Rotana et d'autres bouquets satellitaires mettaient sous contrat tout ce qui pense dans le monde arabe : chanteurs, écrivains, cinéastes, sportifs, musiciens, scénaristes, comédiens, etc., pendant qu'en Algérie, on en était encore à trouver la parade pour censurer un documentaire, empêcher un opposant politique de s'exprimer ou changer le contenu d'un scénario. Plus le temps passait, plus le fossé se creusait. Il y a désormais un siècle de décalage entre le fonctionnement d'Al-Jazeera et celui de l'audiovisuel algérien. La chaîne qatarie est un acteur de niveau mondial ; la chaîne, ou les chaines algériennes, ne se battent même plus pour garder une partie infime de leur public naturel. Il n'y a ni mystère ni secret dans cette évolution. Les premiers ont anticipé, ils ont eu recours aux meilleurs spécialistes issus de la BBC, des grandes chaînes européennes et de la télévision algérienne ! Les seconds se sont enfermés dans un bunker de la pensée, et ont déployé une formidable énergie pour défendre une absurdité. Le réveil est brutal. C'est l'équipe nationale d'Algérie qui joue la coupe du monde. Mais les médias algériens doivent négocier avec Al-Jazeera pour acheter des images, et les téléspectateurs sont contraints de s'abonner à la chaîne qatarie pour suivre les coulisses de leur propre équipe. Il reste à savoir comment la situation se présentera en 2014. La tendance va-t-elle se redresser progressivement, pour que les Algériens puissent suivre la coupe du monde dans des conditions acceptables, ou bien va-t-on vers une absence totale de toute structure algérienne dans la retransmission des matches de l'équipe nationale dans quatre ans? |
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