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L'Algérie envisage de passer à une professionnalisation de son football.
Si l'entreprise réussit, cela signifiera que le pays aura trouvé un accès à la
modernité. Professionnel est un mot bien pompeux pour désigner le statut des
footballeurs algériens de première division. Pourtant, ces sportifs supposés
représenter l'élite du pays sont bien des professionnels, au sens premier du
terme : ils vivent de leur métier de footballeur, le seul qu'ils exercent, tout
comme un journaliste professionnel vit de son métier. Et certains footballeurs
en vivent même très bien, à en croire les chiffres publiés à l'occasion des
transferts. Même si, dans le football, on trouve de mauvais joueurs, tout comme
on trouve de mauvais journalistes.
Pour acquérir un footballeur moyen de première division, il est question de millions de dinars, alors que pour certaines stars, il est plutôt question de milliards de centimes. L'Entente de Sétif, qui semble le club le plus concerné quand il s'agit des gros contrats, en serait à verser deux à trois milliards de centimes pour chacune de ses vedettes. Concernant le budget des clubs, il va de 50 millions de dinars, pour les plus pauvres, à dix fois plus, toujours pour l'Entente de Sétif. Un club moyen, comme Bordj Bou Arreridj, a dépensé 28 milliards de centimes la saison écoulée, sans arriver pour autant à des résultats probants. Ces chiffres doivent cependant être relativisés : le plus gros budget algérien, celui de Sétif, représente moins de deux pour cent de celui de Manchester ou du Real Madrid Pour les clubs algériens, c'est tout de même l'argent qui dicte tout. Pourtant, on se refuse à parler de professionnalisme. Evoquant le changement de statut envisagé, le ministre des Sports, M. Hachemi Djiar, parle d'ailleurs du «passage d'un système amateur à un système professionnel», ce qui signifie que, pour lui, les clubs algériens restent «amateurs». Le changement envisagé par M. Djiar ne concerne pas uniquement les statuts. Comme première étape du passage au professionnalisme, il propose aux clubs de passer du statut d'associations à celui de sociétés (SARL ou SPA), des entreprises soumises au code du commerce. En parallèle, M. Djiar promet une aide conséquente de l'Etat, avec un prêt de 100 millions de dinars à des conditions très avantageuses, le financement d'un terrain de préparation à hauteur de 80 pour cent de son coût, et la prise en charge d'un des volets les plus coûteux pour les clubs, le transport aérien, particulièrement quand il s'agit de compétitions internationales. Ces mesures seront-elles efficaces ? Il s'agit, en réalité, des mesures les plus faciles : le ministre signe des chèques et prend des décisions administratives pour construire des équipements. Mais il ne s'attaque pas au volet le plus difficile, celui sur lequel bute l'économie, la politique et l'entreprise algériennes : la mise en place d'une organisation transparente et efficace, qui délimite clairement les responsabilités, permet d'établir des bilans, de sanctionner ou de récompenser, et de savoir où va l'argent. Car la gestion actuelle des clubs algériens est plus proche de celle du marché informel que de celle à laquelle aspire le ministre. L'argent coule à flots, dans des réseaux occultes, sans jamais passer par le fisc. Chose exceptionnelle, la méfiance des footballeurs a abouti à une curieuse situation où les contrats sont établis chez des notaires, sans que le fisc ne s'en mêle. Cette évolution a débouché, avec le temps, sur une véritable dérive. Des sommes gigantesques circulent dans des réseaux occultes, et finissent souvent là où elles ne devraient pas : dans le trucage des matches, par exemple. C'est là un phénomène très répandu, mais qu'il est difficile de prouver. A cela s'ajoute l'incurie des institutions ayant en charge l'organisation des compétitions, avec une fédération et une ligue nationales incapables d'établir de la cohérence dans leur programmation ou de donner un statut aux installations sportives : le sort du stade du 5 Juillet, réservé aux derbies algérois, puis à l'équipe nationale, avant une nouvelle volte-face, a basculé dans l'absurde. Que peut faire M. Djiar face à ce casse-tête ? Peu de choses, à vrai dire. Car une organisation se construit sur la durée, avec des règles claires, publiques et transparentes. Une telle organisation peut même déborder ses promoteurs ; elle peut instaurer ses propres règles, et devenir indépendante. L'Algérie est-elle mûre pour permettre au sport de devenir autonome, et échapper aux manipulations politiques et économiques ? Difficile à dire. D'autant plus que le stade de football reste le dernier territoire libéré par la société algérienne, un territoire où tout est permis, y compris les slogans les plus rebelles et la violence la plus aveugle et la plus stupide. Par ailleurs, deux patrons d'entreprises publiques ont affirmé, en privé, être intéressés par une prise de participation dans un club de football. Pour eux, il s'agit de sponsoriser ce club, tout en gardant un œil sur sa gestion. Ils estiment que l'opération est rentable : avec les recettes dans les stades, les produits dérivés à développer, les subventions (le professionnalisme n'exclut pas les subventions) et les droits de télévision, ils pensent équilibrer largement leur budget. Ils sont prêts à s'associer à des entreprises privées pour y arriver. Mais ces deux chefs d'entreprise refusent encore d'en parler en public : peuvent-ils s'engager dans une telle opération sans s'attirer les foudres de leur hiérarchie ? Ceci confirme que ce que propose M. Djiar apparaît nécessaire, mais pas suffisant. Nécessaire, car rien ne justifie le maintien d'une situation ambiguë qui a mené à la dérive, avec un championnat national incapable d'offrir le moindre titulaire à l'équipe nationale. Insuffisant, car le véritable travail commencera lorsque cette nouvelle formule aura été lancée. C'est à ce moment qu'il faudra construire des clubs, avec un environnement technique, économique, social et institutionnel adéquat. Et si l'Algérie se révèle capable de construire des clubs de football modernes, elle pourra aussi construire des partis, une économie et une école performante. |
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