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Le monde arabe invente la république héréditaire. Une recette efficace
pour perpétuer l'échec.
Le modèle fait recette. Les pays arabes sont séduits par la transmission du pouvoir de manière héréditaire. Même dans les anciennes «républiques» plus ou moins révolutionnaires et modernes, la tentation d'installer un héritier, auquel on lègue pouvoir et fortune, fait son chemin. Elle est même évoquée comme une tendance naturelle dans un monde où les institutions ont été anéanties. Aucune règle constitutionnelle ne prévoit explicitement un pouvoir héréditaire en Egypte ou en Syrie. Mieux, l'histoire moderne des «républiques» arabes a souvent eu comme point de départ une révolte contre ce type de pouvoir. En Libye, c'est même un coup d'Etat contre un Roi qui a marqué l'avènement de Mouammar Kadhafi. Mais, dans la pratique, la formule s'est peu à peu répandue dans les cercles dirigeants où elle s'est imposée comme une fatalité, si ce n'est une issue heureuse, dont les courtisans assurent la promotion. Malgré l'hostilité ou l'indifférence de la rue, l'espoir grandit d'en faire un mode normal d'accès au pouvoir, avec l'assentiment des grandes puissances qui suivent l'évolution avec un silence complice. L'expérience a été tentée en Syrie où Bachar Al-Assad a succédé sans heurt à son père. Les principaux protagonistes se sont retrouvés gagnants. La famille Assad a gardé le pouvoir, le régime s'est stabilisé, les voisins n'ont pas été inquiétés, et les pays influents dans la région ont été tout heureux de voir que la Syrie avait, par elle-même, décidé de se maintenir dans une position figée qui permet de mieux la contrôler. Depuis, des scénarii similaires se préparent un peu partout. En Egypte, le président Hosni Moubarak, en poste depuis trois décennies, se prépare à introniser son fils Djamel. En Libye, Mouaammar Kadhafi a propulsé son fils, Seif El-Islam, dans la hiérarchie du pouvoir, et lui prépare le terrain. En Tunisie, tous les yeux sont braqués sur un gendre du président Zine El-Abidine Benali, M. Sakhr Materi, qui connaît depuis quelques années une ascension fulgurante. Il a fait fortune depuis son mariage avec l'une des filles du président, avant d'entrer au Parlement et d'investir dans les média. Tout le monde s'accorde à lui prédire un avenir grandiose. Au lointain Yémen, le président Ali Abdellah Salah, confronté à une série de rebellions, d'essence politique, régionale, tribale ou religieuse, s'accroche encore au pouvoir, mais il est contraint de penser à sa succession. Du même âge que Kadhafi (68 ans), il pense organiser sa sortie en faisant le minimum de dégâts possible, ce qui l'amène à tenter de conserver le pouvoir au sein de sa région, sa tribu, son clan ou sa famille. Avec un objectif affiché : rétablir la stabilité dans le pays. La stabilité est d'ailleurs le principal argument avancé pour justifier ce mode de succession. Pas de changement brutal, pas de règlement de comptes, une transition en douceur, et tout le monde continuera de faire des affaires comme avant : c'est le discours des pays concernés envers les grandes puissances. La pilule passe d'autant mieux que la transition démocratique et l'alternance au pouvoir ne sont ni possibles ni souhaitables dans les pays arabes. Selon un spécialiste du monde arabe, l'idée d'une transmission héréditaire du pouvoir trouve son origine dans deux éléments essentiels. D'une part, l'expérience a montré que les régimes monarchiques assuraient une meilleure stabilité que les régimes «républicains» ou révolutionnaires». D'autre part, cette forme de succession réunit un consensus des pays concernés et des grandes puissances, en assurant la préservation des intérêts de chaque partie. Les pouvoirs en place sont certains de conserver les équilibres antérieurs, alors que les grandes puissances voient leurs intérêts préservés, sinon renforcés, car l'héritier est contraint de prouver sa soumission. Mais, pour les sociétés de pays concernés, cette formule sonne comme une catastrophe. C'est une formule qui maintient un statu quo destructeur, car le principal objectif recherché est le maintien des équilibres en vigueur au moment de la succession, ce qui élimine toute idée de changement et d'introduction de formes modernes d'organisation. Plus encore, le changement est clairement perçu comme une menace à combattre à tout prix. Pourtant les pays où cette idée est pratiquée ou évoquée constituent un modèle de l'échec dans la gestion des affaires du pays. Moubarak est au pouvoir depuis 29 ans, mais son pays, le plus peuplé du monde arabe, est réduit à une pauvreté structurelle. Kadhafi, qui a pris le pouvoir il y a 41 ans, est passé de la révolution au livre vert, avant d'en revenir aux tribus et à un système d'allégeance archaïque. Ali Abdellah Salah, chef d'Etat depuis 32 ans, risque de laisser un pays en miettes. Seul Ben Ali, au pouvoir depuis 23 ans, à la tête d'un régime policier d'une rare brutalité, peut se targuer d'un petit bilan économique, mais ce qui pouvait être mis à son actif risque d'être balayé par un système prédateur qui s'installe dans le pays. Le bilan apparaît alors dans toute son ampleur : les pays qui ont échoué veulent à tout prix garder le système qui les a amenés à l'échec. Et ils veulent en faire un mode de gestion de leurs pays pour les siècles à venir ! |
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