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par Kamel Daoud

P eu à peu, le pouvoir s'est réveillé à la nécessité de contrôler Internet en Algérie. Pas parce que le GSPC y publiait ses clips sanguins et ses communiqués de boucherie généraliste, mais parce que cet espace virtuel est devenu un vrai parti politique portatif pour chacun, rassembleur, non contrôlable, anonyme, efficace et impossible à soumettre à un redressement ou à une obligation d'agrément. Trois W suffisaient pour avoir le monde au bout de ses doigts et un simple clic suffisait pour déclencher une marche possible ou un appel au rassemblement. Du coup, là où il y a une liberté, il faut une police et un policier. C'est donc fait: au nom de la lutte contre la cybercriminalité, présentée comme première forme de criminalité en Algérie (sic), loin derrière la corruption et les détournements d'argent, le contrôle du web vient d'être instauré en Algérie. Il se fait avec les mêmes méthodes dont on usait pour surveiller les pagsistes des années 70, avec le fichage et l'écoute, la chasse aux photocopieuses et l'identification des dissidents. Du matériel a été importé, des cadres ont été formés et des comptes ont désactivé. Pas ceux du GSPC, mais ceux de quelques gens qui disent que la liberté n'est pas une illégalité. Et dans un pays où Internet est encore au rythme du tracteur de la révolution agraire, où la cybercriminalité est dénoncée comme menace nationale, alors qu'on vient, tout juste, de promettre de passer à la biométrie, et où le débit est piéton et la culture du web encore circonscrite, on vient de lancer une véritable campagne médiatique pour présenter la police du web avec les honneurs et l'appart d'un antivirus en uniforme et qui a tardé à venir et que tout le monde réclame comme un vaccin urgent.

 La recette est grossière, bien sûr, et est vieille comme les ventes concomitantes: la surveillance policière du web est légitimée par des chiffres (dérisoires) sur la cybercriminalité, des rencontres sur le thème et des articles de presse de servitude pour en parler comme d'une modernisation alors qu'il s'agit d'un nouveau encasernement. Dans la géographie du Maghreb, l'Algérie était encore une terre électronique libre jusqu'à récente date. Depuis peu, cependant, la censure s'y réveille et si elle n'a pas encore pris des proportions de contrôle chinois, c'est parce que les commissariats électroniques manquent encore de personnels qualifiés. Des tentatives ont été faites pour gérer les cybercafés comme des kasmate, leur imposer le fichage de leurs clients et des heures d'ouverture, mais sans succès : le pays était tellement ennuyeux et vide qu'il serait dangereux d'ôter aux jeunes les deux seuls espaces cosmiques disponibles: le cyber et la mosquée. Et comme au bon vieux temps de la lutte anti-terroriste, c'est au nom de la lutte contre la cybercriminalité que le Pouvoir va s'attaquer, aujourd'hui, au dernier espace libre des temps modernes, la dernière place publique où l'on peut parler et déclarer, le dernier endroit où on peut s'opposer et contester. Et, comble des malheurs modernes, les dissidents aux régimes locaux, ne sont plus à la mode pour pouvoir bénéficier des effets de médiatisation et de soutiens internationaux: au nom du pipe-line et de la stabilité, les opposants du Maghreb ou d'ailleurs ne sont plus des stars dissidentes venues du froid, mais des blogueurs banalisés. L'Occident qui a inventé le web et la liberté, leur préfère le gaz et peut échanger leur hébergement de sites et fermer leurs comptes Facebook, au nom de la coopération et il le fait déjà. Rappelez-vous: on ne peut pas biométriser vos identités sans électroniser la dictature. Internet est le dernier maquis des gens libres et c'est là que le Pouvoir va les chercher désormais.