
Si Cheikh Sâadane
a éprouvé des difficultés pour former une équipe nationale à partir des joueurs
locaux, il a au moins le mérite de s'en remettre à l'émigration ou
l'immigration, selon la rive, considérant qu'un produit binational est aussi un
produit national par essence. Dont acte, dont couleurs locales sauvées in
extrémis des griffes égyptiennes, puisque tel était l'objectif. Cela soulève
quelques mécontentements chez les ultranationalistes par habitude, au discours
ennuyeux et vieilli à force d'usure. Cela conforte chez les autres l'idée
qu'une communauté n'est plus une question de frontière, ni de lieu de
naissance, ni encore moins d'exclusivité d'amour envers un pays. Seul le
résultat compte en retenant que les perdants ont toujours tort. D'ailleurs ne
faisons-nous pas appel aux Chinois pour nous séparer du ciel par un toit, aux
Japonais pour réduire le temps de voyage par le goudron, aux Américains pour
extraire et vendre nos hydrocarbures, aux Français pour justifier le statut
d'indépendance, aux Russes pour éviter l'ennui à nos aviateurs militaires, aux Canadiens
pour perpétuer la tradition du couscous du vendredi et des enterrements? C'est
ainsi que nous habitons mieux, que nous nous déplaçons mieux, que le trésor
public se renfloue mieux, que nos aviateurs volent mieux, que nous mangeons un
meilleur couscous industriel qui n'a plus le goût amer du henné. Et si la
démarche de Sâadane pouvait, quelque peu, se généraliser en faisant appel aux
compétences binationales qui n'ont pas été érodées par l'attente d'un pays
meilleur, d'un Etat sérieux, d'une représentation nationale parlante, d'une
liberté sans surveillance, d'un projet de société écrit de haut en bas. Qui
n'ont pas été érodées par des discours glorificateurs, ni par des faits d'armes
conservant dans nos têtes fragiles, une guerre qui n'en finit pas. Nous aurons
ainsi une chance de nous en sortir en faisant appel à des managers peu ou pas
touchés par la corruption, ayant évolué dans des institutions où seules la
compétence et l'efficacité comptent, n'ayant pas besoin de souteneurs au niveau
le plus élevés des services de sécurité, ou de cousins par alliance du fait
d'un lieu de naissance, ni de mariage arrangé, ni de dossier compromettant pour
se coucher au moindre vent, ni de fiche communale falsifiée, ni de carte
d'adhésion à un parti allié au président. De managers vierges de tout viol.
C'est ce qu'a fait et refait Sâadane avec l'équipe nationale. Faute de quoi
nous serons tenus de continuer cet essai nucléaire à force de refaire du neuf
avec de l'usé, à force de faire semblant de réfléchir là où nous devons agir, à
force de produire de l'exil dans chacun de nos dires, de nos pas. Nous aurons
droit à une médecine combinée où les instruments médicaux ne servent qu'à
mesurer notre niveau de transfert technologique. Nous aurons une justice
bilingue sans effet rétroactif et des enfants qui se réapproprient l'école qui
les a toujours rejetés. Nous aurons un enseignement de qualité certifiée
conforme aux temps modernes et avec un peu d'espoir, à terme, une bombe
atomique à but dissuasif, ainsi qu'une télévision qui ne coupe pas la passion
du football par le adhan d'Alger, comme s'il appelait l'Algérie entière à la
prière, faisant fi des fuseaux horaires et du nombre impressionnant de minarets
dans le pays. Les conditions sont connues mais n'agréent pas ceux qui ont le
droit de décider. Ceux-là préfèrent l'allégeance à la personnalité, la
camaraderie au compte-rendu, le marquage au fer à la qualité individuelle.
D'ailleurs le vide est devenu la symbolique de l'Etat, au point où on ne trouve
pas, selon les appréciations en cours, de quoi meubler un observatoire de lutte
contre la corruption, considérant peut-être qu'elle s'est normalisée au point
de se généraliser y compris pour obtenir une tombe bien placée dans un
cimetière. En son temps feu Boudiaf affirmait avoir des difficultés pour
trouver soixante personnes honnêtes pour constituer son feu Conseil de
Transition. La pratique de l'éviction des postes de décision pour services
non-rendus, sous forme de mauvaise gestion, pour paroles prononcées dans des
lieux inadéquats où les plafonds, à l'instar des murs, ont aussi des oreilles,
pour refus de recevoir une personne recommandée en dehors des jours de
réception, pour refus d'obtempérer aux ordres d'un supérieur à propos d'un
marché de dupes. Cette pratique, donc, a permis aux saigneurs de vider l'Etat
de sa ressource humaine. Le cas le plus flagrant et le plus récent, le plus
ridicule aussi est celui de la nomination de l'actuel PDG de l'Etat Sonatrach.
Remercié au moment où l'entreprise s'envolait vers les cieux, le voilà revenu à
la plus haute distinction nationale, une fois l'entreprise volée. On peut
disserter sur la question et la commenter du point de vue moral ou même
religieux mais on peut aussi y lire une sorte de supplice de Sisyphe auquel est
condamnée la maison Algérie. Revenir au point de départ.
Ce qui justifie cette promotion
professionnelle d'une personne qui s'est vue accrochée au tableau des
diabolisés, au début du millénaire, c'est certainement son honnêteté ou alors
tout le monde se trompe. Dans un pays où même les Chinois se seraient convertis
à la tchipa, il y a lieu de rompre toute confiance avec ce qui vient de chez
nous ou ce qui y est né. Reste la solution finale: le modèle Sâadane. Juste
pour se donner l'impression d'avoir gagné avant de jouer.