Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Soltani ou la barbe de Cléopâtre

par Kamel Daoud

Un grand classique de la mythologie : le nez de Cléopâtre, reine de la vraie Egypte, face à César. Aujourd'hui, le remake parlera de la barbe de Boujerra Soltani. Prononcez Aboujerra, car cet homme aime mieux son identité «arabe» importée que sa nationalité algérienne d'origine. La barbe de Boujerra, tout le monde la surveille aujourd'hui : si elle s'allonge, cet homme tentera de faire l'histoire ; plus courte, cette barbe fera office d'un fatwa en faveur de la biométrie. Mais pourquoi cet homme, qui s'est excusé en s'écrasant comme un tapis d'avoir un jour parlé de «dossiers» en parlant des «gens de la décision», a l'audace de tenir tête au ministre de l'Intérieur, qui n'est pour rien dans la convocation du fils de Soltani comme témoin dans le scandale de l'autoroute Est-Ouest ?

 D'où lui vient ce courage ? Première réponse : de sa barbe. Il veut la vendre au bon moment. Le moment de la grosse polémique artificielle sur les oreilles des femmes et la barbe des hommes pour les besoins de la photo d'identité laïque. Depuis la mort du Fis, les islamistes sont plus nombreux mais moins écoutés. Ils ont remplacé Abassi par une télécommande et Belhadj par le zapping sur les chaînes religieuses du Moyen-Orient. Ils leur fallait donc un chef, tôt ou tard, et Boujerra Soltani se sent appelé par le destin.

 La polémique actuelle est un moment historique pour se replacer, se rendre visible et se déclarer imam attendu. L'islam algérien peut-il être défendu par une barbe plus longue ? Cela va-t-il changer son histoire politique ? D'ailleurs s'agit-il vraiment de l'Islam ou d'une question de commerce de trottoirs et de cabas comme y excellent les islamistes et les repentis ? A l'évidence, non. Derrière la barbe (raccourcie ou allongée) de Soltani, il y a un chiffre : 2012. Pas le chiffre du film sur la fin du monde, mais une date pour les prochaines élections : législatives, présidentielles ou celles de vos maires.

 Pour revenir à la vie après la disqualification (un à zéro) du panarabisme à Oum Dourmane, le FLN a réinventé la question de la «demande d'excuses à la France coloniale». C'est une manière de refaire la bataille d'Alger et la guerre d'indépendance, mais avec la bouche et assis sur une chaise.

 Que pouvait-il rester donc aux islamistes politiques en Algérie pour faire vitrine ? Rien, si ce n'est, ô aubaine, la question du voile et de la barbe pour le passeport biométrique. Soltani a donc longuement caressé sa barbe en réfléchissant, avant de comprendre que la solution était? sous sa main.

 Et si aujourd'hui on parle de marche de protestation à Alger pour «défendre l'islam et nos valeurs», c'est que cette barbe peut faire l'histoire et un bon score électoral dans deux ans. Et comme à l'époque du Fis et de ses solutions d'économie de bazar et de «Soug Errahma», les gens ne se demandent même pas si avec des barbes plus longues et des oreilles de femmes cachées, le pays va marcher sur la lune. Dans le Coran, Dieu ne parle pas d'oreilles ni de barbes, mais ce n'est pas le problème de Soltani et des quelques oulémas algériens généralement payés pour surveiller la lune du Ramadan.

 Soltani a compris que si le ministre de l'Intérieur a glissé, maladroitement, dans le terrain de la fatwa au lieu d'affirmer les lois de la république, lui, il peut endosser le rôle de l'imam avocat. C'est la même erreur commise par les démocrates genre RCD à l'époque des confrontations télévisées avec Abbassi Madani : au lieu de parler avec lui de politique, ils se sont soumis à son jeu de rôle de représentant religieux. Grossière erreur qui nous a valu dix ans de préhistoire carnivore.

 A chacun donc sa responsabilité : voter pour une barbe ou pour un avenir. La crainte d'un taux d'abstention historique pour les prochaines élections est si vive que tout le monde cherche un cheval : la barbe ou la nostalgie pour le MSP ou le FLN. Que va dire le RND, organe de l'éradication d'autrefois ? On ne sait pas. Ouyahia a cependant déjà des moustaches : une solution médiane ?