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remier sujet: l'ambassadeur de France en Algérie vient d'être convoqué pour
l'affaire Hasseni. La réaction est tellement molle, le sujet tellement épuisé,
l'inconfort tellement immense, la manipulation de cette affaire tellement
poussée, qu'on ne veut plus en suivre les dédales et les développements. Le
seul moyen de rendre son audimat à cette affaire, c'est de nous l'expliquer et
vraiment. De part et d'autre. Soit Hasseni est coupable et on veut ses donneurs
d'ordre, soit il ne l'est pas et il faut se mobiliser pour sa libération. Dans
tout les cas de figure, pour cette semaine, il n'y a qu'un seul développement:
Driencourt a été convoqué parce qu'on ne sait pas si Xavier Driencourt s'écrit
avec T ou avec S à la fin. Le premier est diplomate venu de Malaisie. Le second
est un lobbyiste qui travaille contre les Chinois de l'autoroute ou qui dit
travailler si peu qu'il veut partir là où la guerre est vraiment finie.
Second sujet: plus grave. Puisqu'on ne peut
pas écrire sur l'anniversaire de l'an un du mandat trois de la présidence des
neuf ans, écrivons sur l'ex-Egypte. L'avantage est que vous pouvez remplacer le
nom de ce pays (ex-Egypte), par le prénom de votre pays, sans se sentir
dépaysé. Là-bas donc, le régime est malade, maladif et violent. Il y a un parti
unique, un fils, des polices et des candidats dits indépendants. Le plus
intéressant n'est cependant pas le schéma mais son absurdité. Sortant
manifester contre les modes de succession à la présidence et réclamant une cour
des comptes pour le fils de Moubarak et un peu de démocratie et la fin de
l'état d'urgence, des Egyptiens se sont fait violemment tabasser par des
Egyptiens policiers. D'où cette question fascinante pour le chroniqueur:
qu'est-ce qui fait qu'un homme, un seul (Moubarak) puisse faire frapper le
peuple par lui-même alors que le peuple est plus nombreux et a toutes les
raisons ? Comment «tient» un régime où une partie du peuple défend un seul
contre tout un peuple ? Pourquoi un policier pauvre, mal payé, en colère, mal
logé, va-t-il taper sur ses concitoyens au nom d'un homme qui ne l'a jamais vu,
qui est riche, qui a un pays à offrir pour son fils, qui habite vingt-cinq
palais ? A cause du salaire, de l'effet de hiérarchie, de la peur en boucle ou
de la haine de soi parce que Moubarak lui rappelle son rêve et le peuple lui
rappelle lui-même ? Qu'est-ce qui fait qu'un gueux frappe un gueux pour sauver
le régime d'un puissant ? Qu'est-ce qui «soude» un régime toujours minoritaire
face à un peuple automatiquement majoritaire ? L'armée ? Elle est composée de
gens du peuple. La police aussi, les «services», les élites et les délateurs.
C'est cette relation que Marx a tenté de déchiffrer et sur laquelle Che Guevara
s'est lourdement trompé. On peut expliquer ce lien par la compromission, les
mécanismes de corruption, la rente, la peur, la cécité, l'aliénation
alimentaire, le casernement, mais cela ne suffit pas. Il y a la thèse politique
face à l'évidence biologique: pourquoi un peuple accepte de se taper dessus au
nom d'un seul homme ou des siens ? Une sombre piste: l'illusion de l'os. A
chaque homme d'un peuple, le président, et donc ce qu'il incarne, laisse croire
qu'il peut devenir comme lui, lui ressembler ou jouir d'un tout petit morceau
de présidence, dans son quartier, sa ville, son village ou devant les siens. Au
nom de ce privilège théorique et illusoire, un homme peut tabasser tout un
peuple pour croire qu'il peut être comme «son» président pendant quelques minutes.
Et puisque être président, c'est n'être qu'un seul (un emploi à un seul poste),
autant barrer le chemin à tous les autres et les frapper quand ils bougent ou
demandent la démocratie. Sociologie de foire désordonnée pour un mystère réel,
en Algérie, en ex-Egypte, en Tunisie ou ailleurs. Et puisqu'on ne peut pas
évoquer l'anniversaire d'une mandature de présidence ici chez nous,
réfléchissons sur ce mystère qui vaut pour tous. C'est urgent. La Raison ? Lu
hier dans le journal: «Importation: 15.000 tonnes de viande pour le Ramadhan».
Toute la crise algérienne depuis son indépendance en est arrivée à ça: une
crise alimentaire pour carnivores de zoo infréquentable. On nous a donc réduits
à ça. Et la solution qu'on nous propose est «10.000 tonnes de viande». Même à
l'époque du coup d'Etat contre le GPRA et le hold-up (qui dure), par les armées
des frontières, on était plus poli avec ce peuple et moins insultant.