Voilà déjà seize années qu'Abdelkader Alloula, assurément le plus grand
des dramaturges algériens, fut lâchement assassiné par les mains de
l'obscurantisme, allergiques à la culture et au savoir. Mais l'œuvre qu'a
laissée cet homme est plus que jamais vivante et continue à planer, telle une
aura, sur le monde du théâtre. Retour sur la vie de ce monument de la culture
algérienne? Abdekader Alloula est né en 1939, à Ghazaouet. Il
commence ses études primaires à Aïn El-Berd, avant de les poursuivre à
Sidi-Bel-Abbès, ensuite à Oran. C'est en 1956, c'est-à-dire en pleine Guerre de
Libération, qu'il fait ses premiers pas dans le monde du théâtre, et cela à
l'occasion de la grève des lycéens et étudiants algériens, décrétée par le FLN
: il profite de cette occasion pour intégrer une troupe d'amateurs, du nom de
«El-Chabab d'Oran», et participe, en son sein, à plusieurs stages de formation,
ainsi qu'à quelques représentations, et ce jusqu'en 1960. Par la suite, il
s'envole pour Paris pour suivre un cycle d'études au Théâtre national populaire
de Jean Vilar. Après l'indépendance, et à l'occasion de la création du TNA
(Théâtre national algérien), il retourne à Alger où il est d'emblée recruté
dans ce nouvel établissement. Aussi, son initiation au monde théâtral n'a
concerné, dans un premier temps, que le côté acteur? Il a, en effet, joué, lors
de cette période, dans une série de pièces écrites par d'éminents auteurs
algériens («Hassan Terro» notamment). Alloula s'est aussi plu dans le registre
classique, en jouant du Molière (Dom Juan), ou même du Shakespeare (La Mégère
Apprivoisée).
Comme metteur en scène, il s'est
d'abord essayé dans l'adaptation d'œuvres de tiers auteurs, avant de se décider
à écrire lui-même ses propres pièces. On peut affirmer que son premier grand
succès au niveau national a été en 1970, lors de la générale d'«El-Khobza». A
partir de cette pièce, les amateurs de théâtre de cette époque ont assisté à
une sorte de « nouvelle vague» dans la dramaturgie algérienne. Abdelkader
Alloula n'écrivait ses textes qu'en arabe, mais de cet arabe dialectal dont
tout le monde s'y reconnaît. Là est d'ailleurs sa force : réussir, en employant
des mots simples, des mots accessibles, à toucher le plus grand nombre de gens.
D'ailleurs, point besoin de rappeler que sa principale source d'inspiration se
trouvait, non pas dans les salons mondains, comme c'est peut-être le cas pour
certains, mais au contraire, parmi les petites gens, dans les cafés populaires
grouillant de vie. Après «El-Khobza», ce fut au tour de «Homk Salim» de naître
en 1972, qui est une adaptation du «Journal d'un fou» de Gogol. S'ensuivent ensuite
« Hamam rabi», «Hout yakoul hout», et puis, bien sûr, la célèbre trilogie, qui
représente carrément le pilier de son œuvre : «Legoual» (1980), «Al-Ajouad»
(1984) et «El-Lithem» (1989). Avec «Al-Adjouad» (les généreux), l'acteur
principal, Sirat Boumediène, reçoit le prix de la meilleure interprétation
masculine au Festival international de Carthage. « Arlequin, valet de deux
maîtres», adaptée de l'œuvre de Goldoni, a vu le jour en 1993, c'est-à-dire un
an à peine avant son assassinat. Hélas, un certain 10 mars 1994, alors qu'il
était au sommet de sa carrière, il fut victime d'un attentat terroriste qu'il
lui ôta la vie quelques jours après. Ceci dit, l'immensité de son talent est
telle qu'en ce jour encore, seize années après sa disparition, il continue à
vivre dans le cœur de milliers d'Algériens, et son œuvre, toujours d'actualité,
se perpétue encore grâce au talent de jeunes artistes, issus de la troupe «
Istijmam », entre autres, qui lui rendent fréquemment hommage en interprétant
ici et là en Algérie, l'une de ses plus célèbres pièces, et des plus
pittoresques, qui est: «Et-Touffah». C'est à lui aussi qu'on doit la
résurrection du concept d'El-Halqa, qui veut couper court avec le théâtre
classique, et donner une nouvelle relation, plus chaleureuse, entre les acteurs
et le public. On se doit alors de rendre hommage à ce grand « généreux », ce
prolifique de l'écriture, ce génie de la créativité, celui qui a réussi à
propulser le théâtre algérien au rang international et qui trouvait son
bonheur, à l'instar d'un Kateb Yacine, autre monstre de la culture algérienne?
non pas dans les salons, mais plutôt dans les cafés populaires, parmi les
petites gens ! Son œuvre, d'une richesse inouïe, continuera sans doute à vivre
pendant encore bien des décennies.